L’affirmation « Nul n’est plus grand que son peuple » reflète l’idée que l’individu, aussi puissant ou remarquable soit-il, ne peut surpasser l’entité collective qu’est son peuple, car c’est de cette communauté qu’il tire son essence, son soutien, et sa légitimité. Cette affirmation a traversé les âges et est documentée dans la littérature, la doctrine, l’histoire, le magistère de l’Église et justifie les activités liées à la législation.
1. Dans la littérature : la grandeur inscrite dans le collectif
La littérature regorge d’exemples où les personnages ou les héros, bien qu’exceptionnels, sont indissociables du peuple auquel ils appartiennent :
- Victor Hugo dans Les Misérables met en lumière la souffrance et la lutte du peuple français au XIXe siècle. Jean Valjean, bien que figure héroïque, n’existe qu’au sein du contexte social d’injustice qui nourrit son évolution. Sa grandeur repose sur sa connexion avec le peuple opprimé et sa quête de rédemption dans un monde dominé par des structures collectives.
- Aimé Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal illustre l’importance du peuple martiniquais et des cultures africaines dans la construction identitaire. Le narrateur prend conscience que son propre épanouissement est intrinsèquement lié à la reconnaissance de l’histoire et des luttes de son peuple, écho à l’idée que « nul n’est plus grand que son peuple ».
- Ngũgĩ wa Thiong’o dans Un grain de blé montre comment les actions individuelles ne prennent leur sens que dans le cadre de la lutte collective pour l’indépendance du Kenya. L’héroïsme est ici inséparable du destin collectif du peuple.
2. Dans la doctrine : le rôle fondateur de la collectivité
De nombreuses doctrines philosophiques, politiques et religieuses renforcent cette idée en soulignant la primauté du peuple comme entité supérieure ou source de légitimité.
- Jean-Jacques Rousseau et la souveraineté populaire : Dans Du Contrat Social, Rousseau affirme que la souveraineté réside dans le peuple, et que tout dirigeant tire son autorité de cette collectivité. L’individu, aussi influent soit-il, n’est qu’un mandataire du peuple.
- Le marxisme et la lutte des classes : Karl Marx place le prolétariat au centre de l’histoire. Les leaders révolutionnaires, selon cette vision, ne peuvent réussir qu’en mobilisant les masses populaires, car c’est en elles que réside la force du changement.
- La doctrine panafricaniste : Des figures comme Kwame Nkrumah ou Julius Nyerere insistent sur l’idée que le progrès et l’unité de l’Afrique passent par la mobilisation et l’élévation des peuples. Les dirigeants ne sont que des serviteurs de cette ambition collective.
3. Dans l’histoire des peuples : des figures modelées par leur communauté
L’histoire mondiale fournit d’innombrables exemples où des leaders, bien que visionnaires, doivent leur grandeur à leur peuple et au soutien collectif.
- Nelson Mandela et la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud : Mandela est devenu une figure emblématique grâce à la lutte collective menée par des milliers de Sud-Africains, dont certains ont sacrifié leur vie pour l’égalité et la justice. Mandela lui-même reconnaissait qu’il n’était qu’un parmi des millions engagés dans ce combat.
- Mahatma Gandhi et l’indépendance de l’Inde : Gandhi, bien que figure centrale, ne pouvait mener sa lutte sans la participation massive de la population indienne. Ses campagnes de désobéissance civile ne prenaient leur force qu’à travers l’engagement des millions de citoyens.
- La Révolution haïtienne (1791-1804) : Dessalines, Louverture et les autres leaders de cette révolution sont indissociables des esclaves insurgés qui ont renversé l’ordre colonial. La liberté obtenue est avant tout une victoire du peuple.
4. Dans le magistère de l’Église catholique : l’écho de la doctrine panafricaine
Le magistère de l’Église catholique aborde souvent le rôle des dirigeants en s’appuyant sur des enseignements bibliques, théologiques et sociaux. L’idée selon laquelle les dirigeants sont des serviteurs de l’ambition collective s’inscrit dans une vision chrétienne du pouvoir et du leadership comme étant avant tout un service désintéressé au bien commun.
- L’autorité comme service : Dans l’Évangile selon saint Marc (10, 42-45), Jésus enseigne :« Vous savez que ceux que l’on regarde comme les chefs des nations commandent en maîtres, et les grands font sentir leur pouvoir. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. Au contraire, celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur, et celui qui veut être le premier sera l’esclave de tous. » Le magistère de l’Église s’appuie sur ce passage pour rappeler que l’autorité ne doit jamais être exercée comme une domination ou une recherche de pouvoir personnel, mais comme un service humble et généreux.
- Le bien commun comme finalité : L’Église enseigne que les dirigeants sont appelés à rechercher le bien commun, c’est-à-dire le bien de tous et de chacun, dans une perspective de justice, de solidarité et de respect de la dignité humaine. La doctrine sociale de l’Église (notamment dans les encycliques comme Rerum Novarum de Léon XIII ou Centesimus Annus de Jean-Paul II) insiste sur la nécessité pour les dirigeants de répondre aux besoins collectifs et de promouvoir une vision solidaire de la société.
- La subsidiarité et la participation : Le magistère met aussi en avant les principes de subsidiarité et de participation : La subsidiarité signifie que les autorités supérieures doivent respecter et soutenir les initiatives locales sans les écraser, favorisant ainsi la responsabilité collective. La participation rappelle que les dirigeants ne sont pas seuls à décider ; ils doivent écouter et inclure les aspirations du peuple dans leurs décisions.
- La vigilance contre l’égoïsme et l’orgueil : Le magistère met en garde contre l’abus de pouvoir et l’ambition égoïste. Les dirigeants doivent être animés par une intention pure et un engagement sincère envers la communauté. Les dérives liées à l’orgueil ou à une ambition démesurée sont contraires à leur mission de serviteurs.
- Un modèle inspiré du Christ : L’Église propose le Christ comme le modèle parfait du dirigeant-serviteur. Jésus, en lavant les pieds de ses disciples (Jean 13, 12-15), montre que le vrai leadership implique l’humilité et le service. Le dirigeant chrétien doit imiter cet exemple en renonçant à ses intérêts personnels pour se consacrer à ceux des autres.
5. Dans les activités liées à la législation
La morale et l’éducation civique jouent un rôle crucial dans la formation des rédacteurs de projets de lois pour promouvoir une bonne gouvernance. En inculquant des valeurs fondamentales et des connaissances essentielles sur les principes démocratiques, les droits humains, l’éthique et la participation citoyenne, l’éducation civique peut contribuer à l’élaboration de lois justes, équitables et adaptées aux besoins de la société. Voici les éléments clés à inclure dans un programme d’éducation civique destiné aux rédacteurs de projets de lois:
a/ Compréhension des principes démocratiques
- Connaissance des institutions démocratiques et de leur fonctionnement.
- Respect des principes de séparation des pouvoirs et de l’État de droit.
- Importance de la participation citoyenne et de la consultation publique.
b/ Sensibilisation aux droits humains et aux libertés fondamentales
- Connaissance des conventions internationales et nationales relatives aux droits humains.
- Intégration des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux dans les lois.
- Approche inclusive pour garantir que les lois respectent la diversité et l’égalité.
c/ Éthique et responsabilité
- Sens de l’intégrité et de la transparence dans le processus législatif.
- Évaluation de l’impact des lois sur les citoyens, avec un focus particulier sur les groupes vulnérables.
- Formation à l’éthique professionnelle pour éviter les conflits d’intérêts et la corruption.
d/ Compétences juridiques et techniques
- Maîtrise des techniques de rédaction juridique.
- Capacité à rédiger des lois claires, précises et compréhensibles.
- Connaissance des procédures législatives et des étapes d’adoption d’une loi.
e/ Analyse critique et résolution de problèmes
- Capacité à identifier les besoins réels de la société et à proposer des solutions adaptées.
- Analyse des conséquences économiques, sociales et environnementales des lois proposées.
- Promotion d’une culture du débat constructif et de la concertation.
f/ Approche participative et collaborative
- Importance de consulter les parties prenantes (citoyens, ONG, experts).
- Renforcement des capacités à dialoguer avec différents acteurs pour recueillir des contributions.
- Utilisation des outils modernes de consultation publique (plateformes numériques, enquêtes, forums).
g/ Suivi et évaluation des lois
- Formation sur la manière de mesurer l’efficacité des lois adoptées.
- Évaluation des ajustements nécessaires pour améliorer leur impact.
CONCLUSION
L’affirmation « Nul n’est plus grand que son peuple » illustre une vérité fondamentale selon laquelle la grandeur individuelle ne peut s’épanouir que dans le cadre du collectif. Que ce soit en littérature, en doctrine ou en histoire, l’individu trouve sa force et sa légitimité dans son appartenance et son service à son peuple. Les exemples cités montrent que l’élévation personnelle est indissociable des luttes, des sacrifices et des aspirations de la collectivité.
Par ailleurs, l’objectif de l’exigence d’une éducation civique est de doter les rédacteurs des lois de la République des outils nécessaires pour élaborer des lois qui favorisent la justice, le progrès social et le développement durable, tout en renforçant la confiance des citoyens dans leurs institutions. Le seul profil de juriste ne suffit plus. Sinon un juridisme digne du mercenariat risque de s’installer et au lieu de lois, nous avons des pétards, des germes de structures de péché (Saint Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, 1987). (Rejoignez la famille des abonnés de la chaîne WhatsApp de La Nouvelle Tribune en cliquant sur le lien https://whatsapp.com/channel/0029VaCgIOFL2ATyQ6GSS91x)
Ambassadeur Théodore C. LOKO (à la retraite)
Docteur en Droit public
Enseignant-chercheur
Président de « Capital Social Chrétien »
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