Dans un monde de plus en plus dominé par la mondialisation et l’uniformité linguistique, le Bénin se retrouve à un carrefour culturel. D’un côté, des voix s’élèvent pour exprimer le regret de ne pas maîtriser leurs langues maternelles, symbole d’une identité perdue. De l’autre, certains choisissent délibérément d’écarter ces langues, les jugeant obsolètes et sans valeur.
Yvette G., 28 ans, témoigne : « Mon père est Adja et ma maman Mina. Mes parents ont choisi de ne pas nous apprendre aucune de ces langues. On parlait le Français à la maison. Aujourd’hui, je me sens déconnectée de mes racines. Lorsque je rencontre des personnes qui parlent le Adja ou le Mina, cela me fait mal de ne pas pouvoir interagir avec elles ». Pour Yvette, le fait de ne pas parler sa langue maternelle l’empêche de se sentir pleinement intégrée dans des communautés qui partagent ses origines. « J’ai loué dans une maison où il y avait des Adja et des Mina. Mais je n’ai pas osé leur dire que j’avais les mêmes origines, car je ne parle pas leur langue. J’aurais préféré pouvoir interagir avec eux », confie-t-elle. Ce manque d’interaction linguistique crée une barrière invisible qui isole ceux qui ne maîtrisent pas leur langue d’origine.
Ce sentiment de perte d’identité est partagé par d’autres, comme Mardochée B. un jeune père de famille. Lui et sa femme, d’origine Idasha, ne maîtrisent pas leur langue maternelle.« Si nous ne trouvons pas une solution, notre descendance sera condamnée à oublier notre langue maternelle. Ça ne me plaît pas », déplore-t-il. Mardochée et sa femme comprennent le Fon en plus du Français. Cependant, leur intégration aux Fon au détriment des Idasha pose un problème d’identité culturelle et de préservation de la diversité linguistique.
D’un autre côté, certains choisissent délibérément de laisser tomber leurs langues maternelles. Victorin G., un homme d’une quarantaine d’années, originaire d’Abomey explique : « Le Fon ne nous apporte rien. Nos enfants étudient le Français, et pour réussir, ils ajouteront l’Anglais. Ils n’ont pas besoin de leur langue maternelle pour s’épanouir ou pour gagner de l’argent ». Sa femme partage cet avis, affirmant que le fait de parler uniquement Français a permis à leurs enfants de mieux réussir à l’école. Samuel H., un jeune intellectuel, illustre également cette tendance. Bien qu’il comprenne le Goun par son père et le Nago par sa mère, il préfère toujours s’exprimer en Français, estimant que les langues maternelles n’ont aucune importance. « Je ne vois pas l’intérêt de parler ma langue d’origine », dit-il. Cette attitude soulève des questions sur l’avenir des langues locales.
Clé de l’identité culturelle
L’expert en promotion des langues béninoises, Fabroni Yoclounon, rappelle l’importance des langues maternelles. « Nous réfléchissons dans nos langues maternelles », souligne-t-il. Il explique que lorsqu’on parle le Français au cours à l’école, l’enfant qui parle sa langue maternelle à la maison va devoir se traduire les explications de l’enseignant dans sa langue maternelle avant de les comprendre. Ce processus de traduction peut créer un retard dans leurs réactions, donnant l’illusion que ceux qui parlent Français à la maison sont plus intelligents. Mais en réalité, chaque enfant évolue à son propre rythme, et les différences de langue ne sont pas liées à l’intelligence. L’enfant qui ne comprenait que sa langue maternelle arrivera à se mettre dans la danse et il peut exceller plus que les autres.« J’ai fréquenté des camarades qui parlaient Français tout le temps, mais j’avais de meilleurs résultats scolaires qu’eux », témoigne-t-il.
Yoclounon plaide pour un équilibre entre les langues maternelles et les langues officielles. Dans un contexte où la majorité de la population béninoise est analphabète et ne comprend pas le Français, il insiste sur le fait que la question de la langue nationale est un besoin primaire. Dans un contexte de mondialisation, il est important de s’ouvrir au monde tout en conservant ses racines. ‹‹ Plus vous apprenez de langues, plus vous pouvez interagir avec les personnes. Nos langues demeurent utiles. Elles nous identifient et déterminent notre personnalité. Si vous oubliez votre langue, vous avez oublié votre culture, votre personnalité et votre identité. La culture nous personnalise ››, déclare Yoclounon. Il trouve que l’accumulation fait que certaines personnes manquent de personnalité. Elles parlent couramment le Français, mais elles ne peuvent pas être considérées comme des Françaises. Elles ne parlent pas leurs langues maternelles. Donc elles ne peuvent non plus être considérées comme ceux de leurs origines. Dans un monde de plus en plus globalisé, la question de l’éducation linguistique des enfants prend une importance cruciale. En grandissant dans une société, il est essentiel de développer leur intelligence sociale en leur enseignant la langue qui véhicule les codes culturels de leur environnement. Cela leur permet non seulement d’interagir efficacement avec les autres, mais aussi d’apprendre naturellement d’autres langues, comme l’Anglais, le Français ou l’Allemand. Pourtant, un complexe d’infériorité persiste. Beaucoup pensent que ne pas maîtriser les langues étrangères les rend plus vulnérables que ne pas maîtriser leurs propres langues. Il est donc impératif de trouver un équilibre entre l’apprentissage des langues internationales et la valorisation des langues maternelles qui représentent un patrimoine immatériel. L’expert trouve que le système éducatif doit encourager le multilinguisme, car la richesse des langues nationales est tout aussi essentielle que celle des langues étrangères.
Dans son discours à l’occasion de la 26e édition de la Journée internationale de la langue maternelle, le ministre béninois des Enseignements secondaires, techniques et de la formation professionnelle, Yves Chabi Kouaro, a souligné l’importance des langues comme marqueurs culturels et identitaires. Célébrée chaque 21 février, cette journée vise à promouvoir la diversité linguistique et culturelle ainsi que le multilinguisme. Le thème de cette année, « Les langues comptent », met en avant le potentiel du multilinguisme pour transformer l’éducation et favoriser un apprentissage inclusif. Le ministre insiste sur le fait que la diversité linguistique enrichit les échanges culturels et renforce la confiance entre les individus. Il évoque également les efforts du gouvernement béninois pour valoriser les langues maternelles à travers des projets éducatifs et des initiatives technologiques. Le Programme d’action du gouvernement 2021-2026, introduit par le président de la République, Patrice Talon, offre divers projets, notamment le projet ARCH, qui accorde une place de choix à la valorisation des langues maternelles à travers des offres d’apprentissage flexibles et réactives. De plus, la mise en place d’une bibliothèque numérique en langues nationales contribue au renforcement des capacités des apprenants. Les lois relatives à la décentralisation en République du Bénin stipulent que « la commune doit veiller à la promotion des langues nationales en vue de leur utilisation sous forme écrite et orale », témoignant ainsi de l’attention particulière que le gouvernement accorde au respect de la diversité linguistique en développant des programmes d’alphabétisation liés à la technologie dans les langues maternelles. Le ministre invite les Béninois à s’engager activement dans la promotion de leurs langues, en encourageant des échanges quotidiens dans leur langue maternelle. « Je formule le vœu que demain, vendredi 21 février 2025, chacun crée un moment de discussion pour échanger uniquement dans sa langue maternelle. Échanger avec vos enfants en langue maternelle ! Échanger avec vos collègues en langue maternelle ! Acheter un article auprès d’un vendeur en marchandant en langue maternelle ! Tous ensemble, engageons-nous à relever le défi de l’alphabétisation et de la promotion des langues nationales au Bénin », tel est la dernière invite du ministre, publié sur sa page Facebook le jeudi 20 février 2025, le jour même de son décès survenu dans un accident de circulation à la sortie nord du village de Badékparou, alors qu’il se rendait à Parakou pour célébrer cette journée.
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