Depuis le retour de Donald Trump à la présidence en janvier, plusieurs signaux ont contribué à alimenter les inquiétudes des acteurs de la coopération internationale. La suppression brutale de programmes entiers gérés par l’agence américaine de développement (USAID), suivie de la mise en congé administratif de la majorité de son personnel, a été perçue comme un tournant majeur dans la politique étrangère des États-Unis. Avec des financements annuels dépassant les 32 milliards de dollars, notamment pour l’Ukraine, la Jordanie ou encore l’Éthiopie, l’agence jouait un rôle de pilier dans les dispositifs d’aide humanitaire. La mise au pas rapide de cette structure par le nouveau Département de l’efficacité gouvernementale dirigé par Elon Musk a provoqué un climat d’incertitude, tant chez les bénéficiaires que chez les partenaires internationaux.
Cette nouvelle entité, centrée sur la réduction des coûts et la réorganisation des institutions publiques, a notamment orchestré des licenciements massifs dans les équipes d’aide internationale. L’objectif affiché est la rationalisation des dépenses. Pour ses critiques, il s’agit surtout d’un effacement pur et simple des solidarités internationales. Elon Musk, aujourd’hui influent au sein du dispositif fédéral, assume pleinement ces décisions, les justifiant par un besoin de recentrage des ressources vers les priorités nationales. Mais cette logique économique appliquée à des domaines aussi sensibles suscite des réactions, y compris dans son cercle personnel.
Melinda French Gates réplique à distance
Par le passé, Elon Musk s’est montré particulièrement critique envers Melinda French Gates, ancienne épouse de Bill Gates, en ciblant notamment ses prises de position politiques et ses engagements philanthropiques. Lorsqu’elle a apporté son soutien à la réélection du président Joe Biden, Musk a moqué ce choix sur la plateforme X, en relayant des messages dénonçant une prétendue hypocrisie derrière certaines initiatives caritatives. French Gates, interrogée par le *New York Times*, a qualifié ces attaques de puériles, regrettant que certains chefs d’entreprise technologique interviennent publiquement sur des sujets où ils n’ont ni expertise ni expérience directe.
Mais le point de friction s’est récemment déplacé vers la question cruciale de l’aide internationale. S’exprimant dans *Fortune*, Melinda French Gates a exhorté Musk à prendre conscience de la réalité humaine derrière les coupes budgétaires qu’il appuie. Selon elle, il est nécessaire de « voyager et d’observer le monde tel qu’il est » avant de prendre des décisions qui affectent des millions de vies. Elle insiste sur le fait que si la pauvreté est bien présente aux États-Unis, elle ne doit pas éclipser les urgences sanitaires et sociales qui persistent ailleurs, souvent dans des pays fortement dépendants de l’aide américaine.
Deux visions irréconciliables du rôle des élites
Au cœur de cette opposition, ce sont deux conceptions de la responsabilité des milliardaires qui s’affrontent. D’un côté, Musk défend une approche radicalement utilitariste, centrée sur l’efficience des institutions, quitte à faire passer au second plan des actions de solidarité internationale. De l’autre, French Gates plaide pour un engagement fondé sur la connaissance du terrain, la coopération multilatérale et une vision à long terme des enjeux humanitaires.
Cette divergence soulève une interrogation plus large sur la manière dont les figures influentes de la technologie entendent redéfinir leur rôle au sein de la sphère publique. Peut-on piloter des politiques publiques avec les mêmes outils que ceux utilisés dans la Silicon Valley ? À travers sa réponse à Musk, Melinda French Gates ne se contente pas de défendre l’aide internationale ; elle interroge la légitimité d’un pouvoir technocratique détaché des réalités humaines.
Alors que les coupes dans les budgets humanitaires se poursuivent, le débat lancé à travers ces échanges publics dépasse le simple différend personnel. Il met en lumière un basculement : celui d’une ère où les milliardaires ne se contentent plus d’innover ou d’investir, mais ambitionnent désormais de redessiner les contours même de l’action gouvernementale.
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