Avec Timpi Tampa, la réalisatrice sénégalaise Adama Bineta Sow n’a pas choisi la voie de la prudence. Pour son premier long-métrage, elle mêle comédie et dénonciation sociale dans une mise en scène audacieuse, à la fois drôle et provocante. Le film suit le parcours de Khalilou, un étudiant réservé, transformé en justicier déguisé après avoir vu sa mère souffrir gravement des effets de crèmes dépigmentantes. Choqué par les standards imposés par une industrie qui valorise une beauté artificiellement éclaircie, il décide de s’infiltrer dans un concours féminin, vitrine d’une esthétique décolorée, en se glissant lui-même dans la peau d’une candidate. Perruque, maquillage, talons hauts : tout y passe pour forcer le débat là où il est le plus visible.
Cette démarche, qui aurait pu se limiter à une simple satire, prend une dimension plus percutante dans un pays où les produits éclaircissants sont largement répandus. Le ton volontairement décalé et le choix du travestissement servent ici de miroir à une réalité parfois absurde : celle d’une course à la clarté de peau au prix de la santé. Loin de caricaturer pour amuser, le film cherche à faire rire tout en dérangeant.
Une œuvre récompensée, mais controversée
Présenté au festival Vues d’Afrique, Timpi Tampa n’est pas passé inaperçu. Il a été salué par le prix “Agir pour l’égalité” et son acteur principal, Pape Aly Diop, a remporté la distinction du meilleur comédien. Son interprétation de Khalilou, puis de Leïla, son alter ego féminin, a été saluée pour sa finesse et sa capacité à porter un double rôle sans tomber dans l’excès ou la moquerie. Le film a également été applaudi pour son audace narrative et sa capacité à aborder frontalement un sujet sensible sans se réfugier dans le didactisme.
Mais si les salles de projection lui ont offert des ovations, les réseaux sociaux, eux, ont réservé un accueil plus mitigé. Sur X, plusieurs internautes ont exprimé leur malaise face à un scénario qu’ils jugent trop extrême. Certains accusent le film de brouiller les repères ou de “faire de la propagande” en utilisant un homme grimé en femme pour délivrer un message de sensibilisation. Des critiques qui révèlent aussi les tensions autour des représentations de genre et des formes d’activisme culturel dans l’espace public sénégalais.
Une fiction qui dérange autant qu’elle fait réfléchir
Au-delà du tumulte en ligne, Timpi Tampa pose une question essentielle : comment sensibiliser sans choquer, et peut-on bousculer les normes sans provoquer de rejet ? En plaçant son personnage principal dans un concours de beauté féminine sous une fausse identité, le film pousse le spectateur à reconsidérer ce qu’il perçoit comme naturel, acceptable ou choquant. Il soulève aussi la difficulté d’attaquer de front un phénomène aussi banalisé que le blanchiment de la peau, souvent lié à des complexes esthétiques profonds, eux-mêmes nourris par la publicité, les médias et certaines attentes sociales.
Les réactions contrastées que suscite le film montrent qu’il touche un nerf sensible. Là où certains voient une démarche courageuse et salutaire, d’autres y perçoivent une provocation inutile. Mais ce clivage même témoigne de l’impact du film : en refusant les demi-mesures, Timpi Tampa oblige à sortir du confort des silences polis. Et peut-être est-ce là sa réussite principale — ouvrir un débat là où le conformisme, d’ordinaire, ferme la porte.
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