Depuis plusieurs décennies, la Banque mondiale joue un rôle majeur dans l’analyse et l’accompagnement des économies en développement, notamment dans les régions du Maghreb. Forte de son expertise mondiale, cette institution mobilise une grande diversité de données et d’outils pour éclairer les politiques économiques, en mettant particulièrement l’accent sur la durabilité de la croissance, la diversification économique, et la stabilité financière. Ses recommandations sont souvent considérées comme des repères incontournables pour les pays confrontés à des défis structurels complexes.
L’Algérie avance à grands pas. Avec une croissance hors hydrocarbures jugée « forte » en 2024 et une inflation en repli, le pays semble amorcer une transition encourageante. Mais derrière ces bons indicateurs se cachent encore des fragilités structurelles. Le dernier rapport de la Banque Mondiale consacré à l’Algérie révèle une dynamique économique intéressante pour 2024, tout en soulignant les fragilités à venir.
Une croissance fragile face aux chocs pétroliers
L’économie algérienne, bien que résiliente, reste fortement exposée à la volatilité des cours des hydrocarbures. Cette réalité a été soulignée par Kamel Braham, représentant résident de la Banque mondiale en Algérie, qui observe que « les équilibres budgétaire et extérieur demeurent très sensibles aux prix du pétrole et du gaz ». En 2025, la baisse attendue des prix du brut devrait provoquer un creusement du déficit budgétaire, estimé à 6,6 % du PIB. Ce déséquilibre est aggravé par une détérioration de la balance du compte courant, conséquence d’une baisse des exportations (-10,2 %) et d’une hausse marquée des importations (+9,7 %), notamment dans les secteurs alimentaires, des équipements et des véhicules.
On pourrait comparer l’économie algérienne à une maison construite sur un sol instable : tant que les prix du pétrole tiennent, la structure tient aussi. Mais à la moindre secousse sur les marchés internationaux, les fondations vacillent. C’est ce que la Banque mondiale propose de corriger : consolider la base de l’économie pour la rendre moins dépendante de ces aléas.
Miser sur la productivité et réorienter l’emploi
L’un des axes clés du rapport est la nécessité de renforcer la productivité, particulièrement dans des secteurs à fort potentiel comme l’industrie manufacturière et les services. Cyril Desponts, économiste principal de la Banque mondiale pour l’Algérie, insiste sur ce point : « des gains de productivité sont indispensables pour libérer le potentiel de croissance du pays ». Actuellement, une grande partie de l’emploi reste absorbée par des secteurs peu productifs ou alimentés artificiellement par la dépense publique. La Banque mondiale recommande de favoriser une migration de l’emploi vers des activités à plus forte valeur ajoutée, capables de soutenir la compétitivité du pays tout en créant des opportunités durables.
Cette stratégie implique de repenser la formation professionnelle, d’investir dans l’innovation et d’accompagner la modernisation des entreprises locales. Ce serait une manière de transformer un moteur à essence – puissant mais polluant et instable – en un moteur hybride, plus équilibré, adaptable et autonome. Il ne suffit plus d’attendre que les recettes pétrolières remplissent les caisses de l’État : il faut générer de la richesse par l’effort productif, l’investissement privé, et l’émergence d’un tissu industriel robuste.
Rationaliser les finances et encourager la production locale
Les importations croissantes, notamment de produits alimentaires, traduisent une dépendance extérieure problématique. Pour contenir cette pression, la Banque mondiale recommande un meilleur encadrement des flux commerciaux, sans pour autant céder à un protectionnisme rigide. Il s’agit plutôt d’encourager la production nationale par des incitations ciblées, et de rationaliser les dépenses publiques pour préserver les marges budgétaires.
Kamel Braham insiste ici sur un principe fondamental : même avec une trajectoire de croissance « solide », l’économie algérienne ne peut ignorer ses vulnérabilités. Des réformes fiscales, un meilleur ciblage des dépenses, et une gestion prudente des réserves de change sont essentiels pour préserver l’équilibre macroéconomique et renforcer la souveraineté économique du pays.
L’Algérie se trouve à un tournant. Les signaux positifs enregistrés en 2024 ne doivent pas masquer l’urgence des réformes. En mettant l’accent sur la productivité, la diversification de l’emploi, et la rigueur budgétaire, la Banque mondiale propose une feuille de route ambitieuse mais réaliste. Les voix de Kamel Braham et Cyril Desponts traduisent une conviction claire : la croissance ne suffit pas, il faut en maîtriser les ressorts. Car, seule une économie capable de générer sa propre dynamique pourra garantir à long terme prospérité et stabilité.
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