La garde à vue, ce mardi, de Moustapha Diakhaté, ancien ministre et figure politique de premier plan, pour offense au chef de l’État, a ravivé une vieille polémique dans les cercles politiques et civils sénégalais : celle de l’article 80 du Code pénal. Utilisé à plusieurs reprises dans des affaires à connotation politique, ce texte est de plus en plus perçu comme un levier juridique pour encadrer, voire restreindre, la liberté d’expression. Et cette fois, la controverse se déroule alors même qu’Ousmane Sonko, devenu Premier ministre, avait lui-même, dans l’opposition, dénoncé cette loi comme une entrave à la démocratie.
Un outil juridique contesté pour son flou
L’article 80, tel qu’il est formulé, prévoit des sanctions contre les actes ou manœuvres susceptibles de compromettre la sécurité publique ou de provoquer de graves troubles politiques. Mais cette formulation très générale, souvent critiquée pour son ambiguïté, permet une large marge d’interprétation. Dans les faits, il a souvent été invoqué pour poursuivre des personnalités exprimant des opinions divergentes, qu’il s’agisse de journalistes, d’opposants ou de simples internautes.
Dans les heures ayant suivi la mise en garde à vue de Moustapha Diakhaté, les réactions ont afflué sur les réseaux sociaux. Nombre d’internautes, en particulier dans les cercles militants de l’ancienne opposition, ont rappelé les déclarations passées d’Ousmane Sonko, désormais chef du gouvernement. Lorsqu’il était encore dans l’opposition, Sonko qualifiait l’article 80 de « hérésie juridique » et plaidait pour sa suppression pure et simple. Cette contradiction entre la posture d’hier et la réalité d’aujourd’hui alimente un malaise dans une partie de l’opinion publique, y voyant une forme de reniement politique.
Des appels récurrents à son abrogation
Depuis plusieurs années, des organisations telles que la Raddho ou ARTICLE 19 dénoncent l’existence même de cet article, qu’elles jugent incompatible avec le fonctionnement d’une démocratie respectueuse des droits fondamentaux. Selon elles, il n’existe aucune justification valable à maintenir un texte qui permet d’arrêter des citoyens sur la base d’opinions critiques, aussi virulentes soient-elles, dès lors qu’elles n’incitent pas à la violence.
Ce type de dispositif, affirment ces organisations, n’est pas seulement problématique sur le plan juridique. Il mine également la crédibilité du Sénégal sur la scène internationale, alors même que le pays cherche à se repositionner comme une démocratie stable, capable d’attirer les investisseurs et de garantir un climat politique apaisé. L’ombre de l’article 80 pèse, selon ces critiques, sur l’ensemble de l’espace public sénégalais.
Une transition politique face à ses propres engagements
L’arrivée au pouvoir du tandem Bassirou Diomaye Faye – Ousmane Sonko a nourri de nombreuses attentes, notamment en matière de rupture institutionnelle et de restauration des libertés publiques. L’usage répété de textes juridiques controversés met aujourd’hui leur gouvernance à l’épreuve. Le cas de Moustapha Diakhaté, bien que singulier, illustre une tension croissante entre les promesses de changement et la continuité de certaines pratiques héritées.
Dans une démocratie où la parole politique doit pouvoir circuler sans crainte de répression, maintenir des lois ambiguës comme l’article 80 apparaît pour beaucoup comme un frein. L’occasion est peut-être venue, pour les nouvelles autorités, de traduire en actes les principes qu’elles ont longtemps défendus. Car là où la loi devrait encadrer, elle est parfois perçue comme un filet. Et dans le filet de l’article 80, c’est la crédibilité de la promesse démocratique qui risque de s’emmêler.
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