Le 30 décembre 2021, à peine un mois après sa création, la société Lavie Commercial Brokers-SUARL a décroché un contrat public de 45,3 milliards FCFA avec le ministère sénégalais de l’Environnement. Officiellement, il s’agissait d’un marché d’armement pour l’acquisition de fusils d’assaut, de pistolets semi-automatiques et de munitions, d’une valeur de 77 millions de dollars. Ce qui frappe d’emblée, c’est la rapidité avec laquelle cette entreprise, créée à Dakar le 16 novembre de la même année, est parvenue à décrocher un marché d’une telle envergure.
Les soupçons se sont rapidement accentués lorsque les enquêteurs ont établi des liens étroits entre Lavie et deux autres sociétés : Eurocockpit et Technologie Service International (TSI). Toutes trois sont associées au sulfureux “Petit Boubé”, figure déjà citée dans d’autres affaires complexes mêlant armement et mouvements financiers transfrontaliers.
Un circuit financier suspect détecté par la CENTIF
Peu après la signature du contrat, 3,09 milliards de francs CFA sont transférés depuis les comptes de Lavie et Eurocockpit vers celui de TSI, dans la même banque dakaroise. Ce n’est que le début d’un ballet bancaire aussi complexe qu’inquiétant. Virements en cascade, retraits massifs en espèces, transferts vers l’étranger… Tous ces mouvements se font sans factures crédibles ni justificatifs tangibles.
Le rapport de la CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières), relayé par le journal Libération, décrit un schéma financier digne d’un prestidigitateur de haut vol. À mesure que les flux sont analysés, les contours d’une opération de blanchiment de capitaux semblent prendre forme. Le tout, dans une affaire où les commandes d’armement peinent à prouver leur existence physique sur le terrain.
Le Parquet financier sur les traces du scandale
Alerté par les anomalies pointées par la CENTIF, le Parquet financier a saisi la Division des investigations criminelles (DIC). Objectif : élucider le montage du contrat, identifier les responsabilités politiques et administratives, et déterminer où sont passés les milliards engagés. Pour rappel, l’enquête initiale du consortium OCCRP avait déjà soulevé en 2022 la question de l’opacité entourant ce marché militaire inhabituel, confié à un ministère sans compétence évidente dans le domaine de la défense.
La procédure s’annonce délicate. Car au-delà de la responsabilité individuelle de “Petit Boubé” et de ses sociétés-écrans, c’est l’intégrité des circuits de passation des marchés publics qui est en jeu. Le fait qu’un contrat d’armement ait pu être signé, exécuté en partie, puis masqué par un jeu de vases communicants bancaires jette un discrédit profond sur les mécanismes de contrôle existants.
En filigrane, l’affaire rappelle la nécessité de repenser les conditions d’attribution des marchés de souveraineté, surtout lorsque ceux-ci touchent aux questions stratégiques comme la sécurité nationale. Reste à savoir si la machine judiciaire, désormais activée, parviendra à remonter l’ensemble des ramifications d’une opération qui défie la logique administrative autant que la transparence financière.
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