Huit ans après sa signature en grande pompe, le projet de corridor Praia–Dakar–Abidjan revient à l’agenda, cette fois autour d’une session technique qui se tient à Dakar du 25 au 28 juin. Une étape qualifiée de « validation », mais qui rappelle aussi la lenteur du chantier. Lancée en 2017, cette initiative portée par huit États ouest-africains ambitionne de relier la capitale cap-verdienne Praia à Abidjan, en passant par Dakar, Banjul, Bissau, Conakry, Freetown et Monrovia, sur un tracé total de plus de 3 000 kilomètres. L’ambition est immense : un axe routier transfrontalier, un volet maritime reliant Praia à Dakar, des infrastructures ferroviaires, une dorsale énergétique et une colonne vertébrale numérique par fibre optique.
Mais depuis son annonce, les promesses ont largement devancé les réalisations. Ce n’est qu’en 2024 que les études préliminaires ont été jugées recevables, près de sept ans après l’accord initial. Cette inertie suscite des interrogations récurrentes sur la capacité des institutions régionales à transformer leurs projets en réalité, au-delà des intentions politiques et des photographies de groupe. La session en cours, réunissant ingénieurs de la CEDEAO, techniciens de la BAD et représentants des pays membres, vise à valider l’alignement du tracé, les implications sociales et économiques, et les étapes suivantes.
Un chantier colossal, mais encore sans pelleteuse
Avec ses 3 160 kilomètres de routes projetées et ses 600 kilomètres de liaison maritime Praia–Dakar, le corridor s’apparente à une artère vitale pour l’intégration ouest-africaine. Sur le papier, il doit fluidifier les échanges de biens et de personnes, raccourcir les délais de transport, et connecter des territoires souvent enclavés. En Côte d’Ivoire, par exemple, 790 kilomètres de routes sont déjà planifiés pour traverser le pays d’ouest en est. En parallèle, les composantes numériques et énergétiques du projet – fibre optique, gazoduc transfrontalier – sont encore au stade des études.
Pourtant, aucune autorité de gestion unique n’a été désignée à ce jour, et les arbitrages techniques comme financiers sont encore en cours. La fragmentation des priorités nationales et l’instabilité politique de certains pays membres (Guinée, Libéria, Sierra Leone) compliquent le calendrier. Le coût global du projet, qui dépasserait les 15 milliards de dollars selon certaines estimations, reste un frein majeur. Les partenaires au développement, comme la Banque africaine de développement ou l’Union européenne, ont manifesté leur intérêt, mais la mobilisation concrète des fonds reste parcellaire.
Patience populaire et scepticisme institutionnel
Au-delà des feuilles de route officielles, la réalité du terrain contraste nettement avec le discours. Entre Praia et Abidjan, les routes en bon état sont rares, les postes frontaliers peu efficaces, et les contrôles douaniers souvent chronophages. Les commerçants, transporteurs et populations attendent des avancées tangibles. Certains experts craignent que le corridor Praia–Dakar–Abidjan ne finisse par rejoindre la longue liste des projets d’intégration régionale restés à l’état de slogans, comme le chemin de fer Dakar–Bamako–Conakry annoncé depuis les années 1980.
L’enjeu n’est pourtant pas que technique : il est aussi politique. En relançant une session stratégique à Dakar, les États concernés semblent vouloir redonner du souffle au projet. Mais pour éviter une nouvelle réunion de façade, les participants devront trancher sur la gouvernance du corridor, fixer des étapes concrètes, et garantir la transparence des financements. Car dans une région en quête de stabilité logistique et de relance économique, ce projet ne peut se permettre le luxe de nouveaux retards.
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