Lorsque Boualem Sansal a été appréhendé à l’aéroport d’Alger à l’automne 2024, son cas a très vite dépassé les frontières judiciaires pour devenir une affaire d’État. En France, les réactions ne se sont pas fait attendre : de l’Élysée aux milieux culturels, les voix ont dénoncé une atteinte à la liberté intellectuelle. En Algérie, l’écrivain a été accusé de propos menaçant l’intégrité nationale, ce qui a cristallisé la défiance du pouvoir envers son double passeport. Les échanges déjà tendus entre Paris et Alger se sont alors figés dans une confrontation de principes : d’un côté, la défense des libertés individuelles ; de l’autre, la protection d’un récit national jugé intangible. Cette affaire a ravivé les cicatrices post-coloniales, au moment même où les deux capitales peinaient à construire une relation stable et apaisée. En arrière-plan, les dissensions sur le Sahara occidental et la mémoire du passé n’ont fait que renforcer les crispations.
Une date symbolique, un espoir réduit à néant
Beaucoup voyaient dans la fête de l’indépendance algérienne un moment propice à un geste d’apaisement. Chaque 5 juillet, le chef de l’État accorde des remises de peine à un certain nombre de détenus. Cette année, une rumeur persistante évoquait la possibilité d’y inclure Boualem Sansal. Or, le décret présidentiel publié à la veille des célébrations a tranché avec froideur. Les condamnés pour atteinte à l’unité nationale ont été expressément écartés de toute mesure de clémence. Sansal, reconnu coupable sur cette base, ne pouvait donc en aucun cas bénéficier de cette vague de libérations. Ce choix confirme une posture ferme des autorités : aucune indulgence pour ceux perçus comme mettant en cause les fondements de l’État. Pour Paris, qui avait discrètement misé sur cette échéance pour relancer le dialogue, la désillusion est totale.
La grâce individuelle, ultime carte en suspens
À ce jour, la seule issue possible reste une décision présidentielle spécifique. Une grâce personnelle pourrait être prononcée à n’importe quel moment, en dehors des décrets collectifs. Mais rien n’indique qu’un tel scénario soit envisagé. Aucune déclaration officielle, aucun signal discret ne laisse entrevoir un revirement. Cette attente sans calendrier ni visibilité plonge les autorités françaises dans un silence embarrassé, incapables de faire évoluer un dossier devenu épineux. Ce statu quo traduit non seulement la volonté d’Alger de tenir la ligne, mais aussi sa défiance vis-à-vis de toute tentative d’influence extérieure. En creux, c’est une manière de rappeler que la justice nationale ne saurait être dictée par une logique diplomatique.
Une relation bilatérale à nouveau fragilisée
La France se retrouve donc face à un mur, incapable d’obtenir gain de cause dans une affaire qu’elle juge symbolique. L’absence de libération de Boualem Sansal pour le 5 juillet constitue un revers politique autant qu’un échec stratégique. Alger, de son côté, y voit une manière de réaffirmer sa souveraineté, dans une relation marquée par les malentendus, les frustrations et les postures. Ainsi, chaque décision judiciaire ou diplomatique devient un levier ou un obstacle. Et dans l’affaire Sansal, c’est clairement le second qui a été choisi. Derrière les murs d’une prison, c’est toute la relation entre deux pays liés par l’histoire mais divisés sur la manière d’en tirer les leçons qui se joue.
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