Sénégal : Réserves émises sur le nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale

Photo de Tingey Injury Law Firm - Unsplash

Adopté samedi par les députés de la 15e législature, le nouveau règlement intérieur de l’Assemblée nationale n’a pas tardé à susciter des interrogations. Loin d’être salué comme un simple outil de modernisation parlementaire, le texte fait déjà l’objet de critiques de fond, à peine quelques jours après sa validation. Le précédent règlement, adopté sous la 14e législature, avait été accusé de modifications irrégulières, voire de falsifications. Celui-ci, bien que présenté comme plus rigoureux, n’échappe pas à la polémique.

C’est le magistrat Mamadou Yakham Keïta, juge au Pool Financier et Judiciaire, qui a lancé la première alerte relayée par le journal Walf. Dans une analyse juridique détaillée, il pointe une faille grave : l’article 56, nouvellement introduit, qui ouvre la possibilité pour l’Assemblée de convoquer des membres de l’autorité judiciaire. En apparence, le texte corrige un vide juridique ancien. Mais combiné à l’alinéa 2 de l’article 62, qui prévoit le recours à la force publique pour faire comparaître un refusant, il déclenche une onde de choc dans les milieux judiciaires.

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L’équilibre entre pouvoirs en question

Le cœur du débat porte sur l’autonomie du pouvoir judiciaire face au législatif. Peut-on envisager qu’un juge, acteur clé de l’indépendance des procédures, soit convoqué de force devant une commission parlementaire ? Pour Mamadou Yakham Keïta, la réponse est non. Une telle situation créerait, selon lui, un brouillage inédit entre institutions. La police judiciaire, théoriquement sous l’autorité d’un magistrat, pourrait-elle se retourner contre lui pour le contraindre à se présenter à une instance politique ? La symbolique serait lourde. Elle entamerait à la fois l’autorité morale du juge et sa capacité à exercer sa mission avec impartialité.

Le juge rappelle un principe fondamental : les commissions d’enquête parlementaires sont conçues pour contrôler l’exécutif, pas pour enquêter sur le judiciaire. En convoquant des magistrats, l’Assemblée franchirait une ligne rouge. Elle risquerait d’affaiblir une institution censée être indépendante, au profit d’un pouvoir politique dont les enjeux sont par définition changeants, voire partisans. C’est moins une question d’orgueil corporatiste que de garantie démocratique.


Transparence ou dérive institutionnelle

Le débat lancé autour du règlement intérieur ne se limite pas à une querelle de juristes. Il révèle un défi plus large pour la démocratie sénégalaise : celui de concilier transparence des institutions et respect des équilibres. Certes, la volonté de rendre des comptes est légitime. Mais lorsqu’elle déborde sur des domaines protégés par la séparation des pouvoirs, elle devient problématique. Les mécanismes de contrôle doivent rester compatibles avec la nature des institutions concernées.

Ce débat pourrait raviver les tensions entre magistrats et parlementaires, déjà exacerbées par certaines affaires récentes. Il pourrait aussi nourrir une réflexion plus large sur les outils de régulation démocratique, les limites du contrôle parlementaire et les garanties à offrir aux corps judiciaires dans l’exercice de leur mission. En attendant, l’article 56 – et son prolongement coercitif à l’article 62 – continue de diviser. Ce qui devait être un simple ajustement législatif est en train de devenir une affaire de principes.

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