Afrique : l’Algérie est-elle de plus en plus isolée ?

Le 30 octobre, un vote inattendu à l’Assemblée nationale française a ravivé les inquiétudes à Alger. Les députés ont adopté une résolution proposée par le Rassemblement national demandant la dénonciation de l’accord franco-algérien de 1968 , texte qui accorde aux ressortissants algériens un régime d’immigration particulier. Ce geste, inédit pour un texte d’extrême droite, symbolise la montée d’un discours politique français plus dur à l’égard de l’Algérie, sur fond de débat migratoire et de crispations historiques.

Maroc-Algérie : une rivalité exacerbée par le dossier du Sahara et l’alliance avec Israël


Sur le front occidental, la rivalité entre Alger et Rabat atteint un niveau de tension rarement égalé depuis la rupture diplomatique de 2021. Le principal point d’achoppement demeure le Sahara occidental : Alger soutient fermement le Front Polisario et revendique le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination, tandis que Rabat maintient que la région fait partie intégrante de son territoire. La diplomatie marocaine a remporté un succès notable avec le vote du Conseil de sécurité des Nations unies en faveur du plan d’autonomie proposé par Rabat pour le Sahara occidental.

Mais au-delà du dossier saharien, c’est surtout le rapprochement entre le Maroc et Israël qui a profondément irrité Alger. Depuis la normalisation de leurs relations en décembre 2020, scellée dans le cadre des « accords d’Abraham », le Maroc a consolidé ses liens militaires, sécuritaires et économiques avec Tel-Aviv. Pour Alger, cette alliance symbolise un basculement géostratégique majeur dans la région : l’introduction d’Israël dans le Maghreb est perçue comme une menace directe à sa sécurité nationale.

En 2022, les autorités algériennes ont accusé le Maroc d’utiliser la coopération avec Israël pour mener des opérations d’espionnage à grande échelle, notamment via le logiciel Pegasus. Alger a dénoncé une « atteinte grave à sa souveraineté », renforçant sa décision de fermer l’espace aérien aux avions marocains. Ce rapprochement israélo-marocain s’est également traduit par des projets de défense conjoints, incluant la construction d’usines d’armement au Maroc et des exercices militaires conjoints. Alger y voit une tentative d’encerclement stratégique.

La réponse a été immédiate : hausse du budget de la Défense, renforcement des alliances avec Moscou et Pékin, et multiplication des manœuvres militaires près des frontières ouest. Sur le plan économique, la compétition reste tout aussi féroce. Rabat mise sur ses partenariats multiples — États-Unis, Union européenne, Israël — pour se positionner comme un hub africain incontournable. Alger, de son côté, cherche à s’affirmer comme le garant d’une Afrique du Nord indépendante, refusant toute influence étrangère jugée « déstabilisatrice ». Les tentatives de médiation régionale, notamment via l’Union africaine, restent sans issue. Le dialogue politique est gelé, et la perspective d’une réouverture des frontières terrestres, fermées depuis 1994, s’éloigne chaque année davantage.

Tensions croissantes avec les pays de l’AES


L’Algérie doit gérer des relations devenues plus distantes avec ses voisins sahéliens. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, aujourd’hui dirigés par des régimes militaires, ont noué une alliance politique et sécuritaire qui ne fait plus référence à Alger. Ces États, désormais tournés vers Moscou et de nouvelles alliances africaines, se montrent peu réceptifs aux initiatives algériennes, considérées comme trop prudentes ou héritées d’une vision diplomatique datée. Alors que la diplomatie algérienne s’efforce de maintenir son statut de puissance stabilisatrice en Afrique du Nord, ses relations avec le Mali, le Niger et le Burkina Faso connaissent une nette dégradation. Ces trois pays, désormais unis au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) ont développé une coordination politique et militaire qui échappe totalement à l’influence d’Alger. Jadis médiateur central dans les négociations de paix, notamment au Mali en 2015, l’Algérie se retrouve aujourd’hui perçue comme un acteur extérieur, voire méfiant à l’égard de cette nouvelle coalition sahélienne.


La tension s’est aggravée avec un incident militaire survenu il ya quelques mois : les forces algériennes ont affirmé avoir abattu un drone malien ayant violé leur espace aérien près de la frontière. Si Alger indiqué avoir voulu préserver l’intégrité de son espace aérien, l’événement a créé un climat de suspicion durable. Pour Bamako et ses alliés, cet épisode symbolise une ingérence non assumée, tandis que pour Alger, il illustre la fragilité des frontières et la complexité de la surveillance dans une zone à forte activité armée. Depuis cet incident, les échanges diplomatiques entre les deux pays se sont faits plus rares, et la coopération sécuritaire reste au point mort.


Le Niger et le Burkina Faso, solidaires du Mali au sein de l’AES, partagent cette méfiance croissante envers l’Algérie. Ces États estiment que les initiatives d’Alger manquent de coordination et de transparence, notamment en matière de lutte antiterroriste. De son côté, l’Algérie redoute que la montée en puissance de l’alliance sahélienne, soutenue par Moscou, n’installe durablement une zone d’influence échappant à son contrôle sur sa frontière sud. La conséquence est claire : les échanges diplomatiques, jadis réguliers, se font désormais à distance, et l’idée d’un espace maghrébo-sahélien intégré s’éloigne chaque jour un peu plus.

L’affaire Boualem Sansal et le retour des tensions avec Paris

Les relations entre Paris et Alger, déjà fragiles, ont connu une nouvelle dégradation à la suite de la polémique autour de l’écrivain algérien Boualem Sansal. Connu pour ses positions critiques à l’égard du pouvoir algérien et ses prises de parole sur la liberté d’expression, l’auteur de 2084. La fin du monde est au centre d’un différend politique entre les deux pays. La participation de Sansal à des événements culturels soutenus par la France a été interprétée par Alger comme une provocation. Cette controverse, amplifiée par les médias des deux rives, a relancé un climat de méfiance diplomatique.

Ce regain de tension s’est ajouté à une série d’incidents plus concrets. La France a décidé de relancer le processus d’expulsion des ressortissants algériens en situation irrégulière, un dossier resté bloqué pendant des mois en raison du refus d’Alger de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires. Dans le même temps, la question des visas a refait surface. Après une réduction drastique décidée en 2021, Paris a partiellement rétabli les quotas, mais les obstacles administratifs demeurent nombreux. Cette politique à géométrie variable alimente la frustration des citoyens algériens, tout en renforçant, côté algérien, le discours sur la nécessité d’une diplomatie « indépendante et ferme ».

L’affaire Sansal et la crise des visas traduisent, au-delà des différends culturels, une tension politique persistante entre les deux pays. Malgré les tentatives de réchauffement portées par le président Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune en 2022, la relation reste empreinte d’une méfiance réciproque, souvent ranimée par des symboles ou des malentendus historiques.

Une diplomatie à redéfinir dans un environnement instable

Face à ces défis, Alger tente de redéployer sa politique étrangère. Le pays cherche à diversifier ses partenariats économiques et sécuritaires, en multipliant les contacts avec la Chine, la Russie, la Turquie et plusieurs États africains. Toutefois, cette ouverture reste freinée par les recompositions rapides des alliances régionales et par la perception d’une diplomatie algérienne trop centralisée, parfois en décalage avec les dynamiques locales.

L’Algérie conserve pourtant des leviers importants : une armée solide, une influence énergétique majeure en Méditerranée et une tradition diplomatique fondée sur le principe de non-ingérence. Mais ces atouts, pour rester efficaces, nécessitent une adaptation au nouvel environnement africain, marqué par des acteurs plus autonomes et des alliances mouvantes. Les régimes sahéliens, désormais regroupés au sein de l’Alliance des États du Sahel, privilégient des coopérations directes et pragmatiques, là où Alger défend encore une approche institutionnelle héritée des décennies précédentes.

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