« L’Eglise ne pourra jamais dire à un jeune d’utiliser un préservatif « 

Mme Cynthia Waszak, une spécialiste de la santé des adolescents a estimé que  » les jeunes s’intéressent au sexe pour une raison biologique : c’est une question d’hormones. Les paroles et les images suggestives qu’ils entendent ou voient dans les chansons, la radio, dans la publicité, dans les films et à la télévision contribuent à piquer leur intérêt. Les jeunes parlent du sexe et ils se posent des questions. Il nous faut trouver des moyens de leur donner une information adaptée afin qu’ils puissent prendre des décisions plus judicieuses et plus éclairées quant à leur comportement sexuel « . D’où le besoin d’une éducation sexuelle, notamment en Afrique où le sujet préoccupe bien de parents, et la société en général. La sexualité des jeunes gens est préoccupante surtout que contrairement à d’autres contrées, notre pays n’a pas en tant que tel une disposition programmatique qui permet d’accompagner efficacement les adolescents. Nous avons rencontré une personne ressource pour échanger autour de l’éducation sexuelle des ado. Jérémie Compaoré Psychologue et assistant de recherche au Centre de recherche et d’intervention en genre et développement (CRIGEB). Il est également une personne ressource du Comité catholique de lutte contre le Sida.

On dit de la jeunesse actuelle qu’elle a une vie sexuelle désordonnée et précoce. Votre commentaire sur ce constat !
C’est une vérité indéniable. Les jeunes aujourd’hui ne mènent plus une vie de sexualité comme leurs parents ou grands parents. La situation de la vie sexuelle actuelle des jeunes fait référence à des valeurs religieuses et morales.

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Qu’est-ce qui pourrait expliquer une telle réalité ?
Ce que la société propose aux jeunes comme valeurs oriente leur vie, notamment sexuelle.

Qu’est-ce que selon vous, la société propose aux jeunes et qui rendrait leur vie sexuelle précoce et désordonnée.
Nous sommes dans un monde dominé par les nouvelles techniques de l’information et de la communication. On peut dire que quelque part, la médiacratie, élément caractéristique de cette nouvelle société, apprend aux jeunes à utiliser d’une certaine manière leur sexe, à utiliser des artifices pour mener leur vie sexuelle. Il y a par exemple les filmes pornographiques, ou certains télénovélas qui influencent beaucoup sexuellement les jeunes. Avec les téléphones portables ou l’Internet, ils s’envoient des scènes de relations sexuelles, des images peu recommandables.

L’une des raisons pour expliquer l’état actuel de la vie sexuelle des jeunes serait l’absence d’une éducation sexuelle. Que peut-on entendre par éducation sexuelle ?
L’éducation sexuelle consiste à informer les jeunes sur la sexualité et à leur transmettre un certain nombre de valeurs et de recommandations. Elle peut également avoir pour objet l’expression et la discussion autour des sentiments amoureux, des pratiques sexuelles et du respect mutuel. La sexualité est l’ensemble des phénomènes sexuels ou liés au sexe, l’ensemble des modalités de la satisfaction sexuelle. Toutes les relations d’un être humain avec lui-même, avec les autres et avec la société sont influencées par le vécu de sa sexualité. La sexualité est une composante essentielle de l’épanouissement personnel. Elle existe dès la naissance et active des prototypes sensori-moteurs, elle accompagne l’enfant au cours de sa maturation, elle est le fondement de la personnalité, elle préside aux transformations de l’adolescence, elle est le ferment de l’union et le garant de la pérennité du couple.

Quelles sont les parties prenantes dans l’éducation sexuelle des ado ?
Au niveau familial, il y a les parents notamment, père, mère, frère, sœur, tuteur, tutrice, oncle, tante, cousin, cousine etc. L’apprentissage de la sexualité a longtemps pu être débuté par l’observation des pratiques animales ou humaines. Ainsi, autrefois, dans le Japon traditionnel, les enfants couchaient dans le lit des parents jusqu’à l’âge de neuf ans. Cette première découverte pouvait être ou non complétée par des avis moraux ou pratiques. Au niveau scolaire, il y a l’Etat et les enseignants. L’éducation sexuelle scolaire vise à dédramatiser les angoisses des néophytes, ainsi qu’à avertir les jeunes des risques liés aux pratiques sexuelles et à les informer sur des pratiques sûres. Tous ceux qui interviennent dans le milieu ont donc leur responsabilité dans l’éducation sexuelle des jeunes. Au dernier niveau, la société d’une manière générale participe à l’éducation des jeunes.

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Est-il important d’éduquer sexuellement une jeune fille ou un jeune homme ?
Oui. La manière d’aborder ou de vivre la sexualité influence l’avenir d’un individu. En exemple, les jeunes élèves qui rentrent dans la phase active de leur vie sexuelle peuvent connaître des difficultés de toutes sortes. L’entité de la personne est parcourue par ce qu’on appelle la libido qui est cette énergie sexuelle qui sert à l’être humain de s’investir et de grandir. Si au bas âge, les élèves au lieu d’utiliser cette énergie pour travailler et avoir des résultats, l’utilisent pour une certaine jouissance, il y a forcement des répercussions désastreuses sur leur scolarité. Dans le processus normal du développement de la personne, l’enfant ou le jeune a à chercher à s’intégrer dans la société sur tous les plans et cela demande de la concentration, de l’énergie. La vie sexuelle active, désordonnée et précoce constitue un gaspillage d’énergie et donc une occasion d’échec pour les jeunes.

Le constat est que le sujet de la sexualité est tabou en famille. Les enfants apprennent les choses de façon occasionnelle et mécanique. On a échoué peut-être au niveau familial et cela se répercute sur toute la chaîne !
Les parents qui doivent jouer leur rôle d’éducateurs en matière de sexualité de leurs enfants n’ont pas malheureusement les compétences y nécessaires. On ne donne que ce qu’on a. Le problème se pose à ce niveau. En réalité, il n’y a pas une stratégie d’éducation sexuelle des jeunes. Ou du moins, certaines manières d’éduquer les jeunes sont désormais inopérantes avec notre modernité.

Absence de stratégie d’éducation sexuelle des jeunes. Quels sont les risques pour notre société ?
Nous disions tantôt qu’un enfant qui est assis en classe et qui pense à quelque chose qui s’est passé la nuit, soit dans un maquis, soit chez un copain, est troublé. Un tel élève ne peut plus suivre correctement les cours. Sur le plan de la construction de la personnalité, il y a des risques de déviations. La société en général sera de plus en plus désorganisée car chacun, même l’enfant, ferait ce qui bon lui semble.

Que doit faire notre société face à l’éducation sexuelle des jeunes ?
Il est important que l’on y réfléchisse sérieusement. Pour cela, il faut que tous les acteurs interviennent. Les parents doivent disposer des connaissances sur l’éducation sexuelle de leurs enfants. On doit aussi revoir les circula de notre système scolaire en prenant par exemple en compte la sexualité, les valeurs morales, religieuses et civiques. Je crois que des choses se font déjà dans ce sens.

Les valeurs civiques et morales peuvent-elles changer la donne ?
C’est vrai que nous sommes tellement dépassés par ce qui se passe dans le monde qu’on se demande, si on peut encore sauver quelque chose sous l’angle moral et religieux. Mais c’est possible.

Selon une étude, plus de 90% des adolescents en Afrique ont une affiliation religieuse dont presque 70% pensent que la religion est très importante. Or, nous constatons que ces jeunes se comportent autrement par rapport aux prescriptions religieuses sur la sexualité. Il y a un manquement au plan religieux !
Les jeunes sont submergés par une quantité d’informations. Le tri de ces informations est un défi non encore relevé. Effectivement les jeunes vont à l’église, au temple, à la mosquée, mais sans porter une importance réelle quant aux implications liées à leurs pratiques religieuses. C’est du suivisme en quelque sorte. Il ne faut pas oublier aussi l’influence de la société sur les jeunes qui se perdent énormément dans leur quête de repères ou de valeurs de références.

Les religieux et les personnes morales ont donc failli à leur mission !
Je ne dis pas qu’ils ne font pas leur travail. Seulement, les causes et les conséquences sont inter indépendantes. La société est un système d’interactions qui s’influencent.

Vous êtes une personne ressource du Comité National Catholique de Lutte contre le Sida. Comment et dans quels cadres, les religieux abordent cette question avec leurs fidèles, notamment jeunes.
Les milieux religieux éduquent les jeunes. Et pour ce qui est de l’Eglise Catholique que je connais bien, on s’appuie généralement sur la Parole de Dieu et la tradition de l’Eglise. Il y a aussi la cellule familiale, la catéchèse, les retraites pour jeunes. Il y a des mouvements de jeunesse dans lesquels les adolescents se forment humainement.

Par exemple dans la tradition catholique, que dit-on aux jeunes par rapport à leur vie sexuelle ?
Les organes sexuels sont sacrés. On leur conseille l’abstinence jusqu’au mariage, d’avoir une conduite responsable et irréprochable.

L’Eglise ne doit-elle pas accepter l’utilisation des préservatifs par les jeunes dans le cadre de la lutte contre le sida ?
L’Eglise d’une manière générale est une entité qui contribue à la vie des hommes. Les responsabilités sont partagées. L’Etat s’occupe de la vie sociale, et l’Eglise du spirituel. L’Eglise a pour rôle de conduire les gens à Dieu. Dieu a sa voie. Dans les écritures, bien se conduire, conduit à Dieu. Vivre dans l’immoralité ou l’impureté, c’est aller à l’encontre de la volonté de Dieu. Vivre bien dans la vie des jeunes, c’est l’abstinence. Il n’y a pas un passage dans les Ecritures qui autorise des relations sexuelles hors mariage pour les jeunes. Donc, l’Eglise ne pourra jamais dire à un jeune d’utiliser un préservatif. Dire à une personne non mariée d’utiliser un préservatif c’est l’encourager dans des rapports sexuels hors mariage.

Peut-on comprendre la position de l’Eglise par rapport à l’utilisation du préservatif en contexte de sida ?
Laurent BADO avait fait remarquer qu’il y a la cité des hommes et la cité de Dieu. La première est constituée par nos Etats, autrement dit, nos sociétés regroupant un grand nombre d’individus qui, vivant sur un même territoire, unissent leurs efforts pour obtenir, sous une direction unique et avec des lois communes, une plus grande prospérité matérielle de tous leurs membres. La seconde est préparée ici-bas par les religions. L’Etat et la religion ont donc affaire aux mêmes hommes : l’Etat est souverain dans l’ordre temporel et dans un ressort territorial donné ; la religion est souveraine dans l’ordre spirituel et sans ressort territorial donné. La frontière entre les deux a été tracée, en ce qui concerne la religion catholique : à l’Eglise, tout ce qui concerne la religion, le salut des âmes, le service de Dieu ; à l’Etat, tout ce qui constitue le domaine civil et politique.
Mais ayant affaire aux mêmes hommes, l’Eglise et l’Etat doivent collaborer car, l’Etat sans les religions, c’est un corps sans âme et les religions sans l’Etat, c’est une âme sans corps. Pour cette collaboration utile et nécessaire, il faut distinguer la religion et l’Etat sans les séparer, les unir sans les confondre. Donc, les uns et les autres devraient comprendre la position de l’Eglise sur le préservatif.

Encadré 1

Santé de la reproduction des adolescents au Burkina : résultats de l’Enquête Nationale sur les adolescents de 2004

45% des filles et 34% des garçons sondés, âgés entre 15 et 19 ans ont déjà eu des rapports sexuels.
38% des filles et 2% des garçons ont eu les relations sexuelles pour la première fois avec leur époux (se).
53% des filles ont eu leurs premières relations sexuelles avec un petit ami et 83% des garçons les ont eues avec une petite amie.
41% des filles mariées de 15 à 19 ont eu les relations sexuelles pour la première fois avec un homme âgé plus de 10 ans ou plus.
90% des filles et 64% des garçons disent que ni leur mère ni leur père n’a jamais parlé des questions liées à la sexualité.

Encadré 2

Initiation sexuelle des jeunes en Afrique

Les proportions de filles de 15 à 19 ans qui déclarent avoir eu des rapports sexuels avant leur 15e anniversaire varient entre 3 % à peine au Zimbabwe et au Rwanda, 27 % en Guinée et 30 % au Niger (voir le tableau).
De très grandes proportions de garçons déclarent des rapports hétérosexuels avant l’âge de 15 ans dans certains pays (48 % au Gabon), par rapport à de très faibles dans d’autres (2 % en Mauritanie).
Dans la plupart des pays de la région, une nette proportion de filles ayant déclaré avoir eu des rapports sexuels avant l’âge de 15 ans n’étaient pas mariées au moment de leur initiation sexuelle. Par contre, pour les filles de 14 ans ou moins, les rapports sexuels sont liés à un mariage précoce arrangé dans les pays tels que le Niger, le Tchad, la Mauritanie et l’Éthiopie.
Malgré le déclin des mariages précoces enregistré à l’échelle régionale, une fille sur six au moins se marie ou s’engage toujours dans une union consensuelle avant l’âge de 15 ans dans sept pays.
Pratiquement toute l’activité sexuelle masculine, avant l’âge de 15 ans, est antérieure au mariage. En Afrique, les hommes ne se marient généralement pas avant l’âge de 25-30 ans, alors que leurs épouses sont beaucoup plus jeunes.
Dans tous les pays, moins de 7 % des filles ont des enfants avant l’âge de 15 ans. Les risques de complications et de mort liés à la grossesse sont cependant élevés car l’accès à des obstétriciens qualifiés et à l’avortement sans risques est limité.
L’initiation sexuelle précoce est souvent forcée, pour les filles comme pour les garçons. Dans certains pays, quelque 25 % des filles et des jeunes femmes déclarent avoir vécu leurs premiers rapports sexuels sous la contrainte, l’expérience étant associée à des épisodes ultérieurs de rapports forcés et non protégés, ainsi qu’à de plus hautes probabilités de grossesses non planifiées et d’IST, VIH/sida compris.
Les garçons peuvent être coupables aussi bien que victimes de contraintes sexuelles, même pendant la jeune adolescence. Au Kenya, les garçons ayant vécu leurs premiers rapports sexuels sous la contrainte admettent plus volontiers avoir usé de persuasion ou de force dans leurs rapports ultérieurs.
Lors d’une enquête menée auprès d’élèves de l’enseignement primaire de 12 ans et plus à Mwanza (Tanzanie), 80 % des garçons et 68 % des filles se sont révélés « sexuellement expérimentés ». Bien que la moitié, environ, des garçons et des filles aient rapporté, comme premier acte sexuel, des rapports vaginaux, 40 % ont plutôt fait état de relations buccogénitales et 10 % de pénétration anale.

Source : International Women’s Health Coalition, octobre 2007, www.iwhc.org

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