Dossier spécial conférence nationale

 

«Il y a une injustice dans la répartition des fruits de la croissance…»

Février 1990- février 2012: il y a 22 ans que la situation politique, économique et sociale du Bénin a été marquée par l’historique conférence nationale qui a sonné le glas du régime pseudo révolutonnaire du  général Mathieu Kérékou.  Dieudonné Lokossou,  fraîchement réélu secrétaire général de la confédération des syndicats autonomes(Csa) Bénin et acteur de cette lutte implacable, en parle. 

Dans quel état se trouvait l’administration publique à la veille de  la conférence nationale?
Votre question me permet de revivre un souvenir amer de l’histoire de mon pays où tous les clignotants étaient au rouge. C’était le désastre sur le plan social et la mésentente au  plan politique. Des béninois étaient contraints à l’exil et ceux qui résistaient étaient soumis à une dictature implacable. Personne n’osait donner son opinion sur des sujets d’actualité de peur d’être dénoncé. Les travailleurs étaient sans salaire et étaient obligés de se livrer à des activités parallèles parfois répréhensibles qui ne sont pas forcément rémunérés ; les retraités n’avaient pas leurs allocations. Tout ceci a conduit à des drames poignants. C’était une administration qui n’existait que de nom avec l’idéologie du Prpb basée sur le marxisme léninisme et le socialisme scientifique. C’est dans ce désordre que les travailleurs ont commencé à prendre conscience parce que l’unique syndicat ou confédération qui régentait le monde des travailleurs était l’union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin (Unstb) qui était un appendice du Prpb. Du coup, il y avait une rupture entre les travailleurs et cette confédération qui était censée défendre les intérêts matériels, moraux et professionnels des travailleurs. Malheureusement, l’idéologie avait pris le pas sur tout autre considération. 

Quel était l’effectif des travailleurs à l’époque et quels rôles ont-ils joué dans les travaux préparatoires?
L’effectif plafonnait autour de  25.000 agents environ. Il oscille aujourd’hui entre 60.000 et 70.000 agents, malgré les différents  programmes d’ajustement structurel(Pas). Les travailleurs s’étaient fortement mobilisés contre l’application aveugle de ces programmes. . Je dois en passant rendre hommage aux membres du parti communiste du Dahomey (Pcd) qui étaient les précurseurs de la lutte de libération. C’est eux qui ont organisé les travailleurs dans les comités d’action, dans les services et  sociétés pour contrer les velléités dictatoriales du régime . Le fait le plus marquant fut la rupture entre l’unique confédération et la plupart des syndicats de base affiliés. Le décor a été planté par le syndicat des enseignants du supérieur ( Synes) dirigé à l’époque par feu Léopold Dossou qui, plus tard deviendra le secrétaire général de la confédération des syndicats autonomes du Bénin (Csa-Bénin). Il y avait aussi les collègues de la poste, avec à leur tête, Ibrahim Zakari qui a été torturé au Plm Alédjo. C’est grâce à Dieu qu’il a pu avoir la vie sauve. Laurent Mêtongnon, le secrétaire général de la Fesyntraf faisait aussi partie des travailleurs qui ont été les victimes expiatoires du système. Le général Mathieu Kérékou prônait une nouvelle forme de capitalisme avec l’appui de certains caciques du système qui l’incitait à user de tous les subterfuges pour se maintenir au pouvoir. Heureusement, la grande marche de décembre 1989 a eu raison du système.      

Quels résultats ces différentes luttes ont permis aux travailleurs d’obtenir?
Grâce à la conjugaison des efforts aussi bien de la part des acteurs politiques tapis dans les rangs depuis l’extérieur et  qui ont leur relais dans le système, on a pu renverser de manière pacifique  le régime. Aujourd’hui, une satisfaction se dégage de cette lutte âpre entre les forces répressives et le peuple qui luttait affamé avec les mains nues. On a donc eu le bonheur de goûter aux premiers fruits de la liberté en 1990 où les réformes sur le plan économique, social et politique ont été amorcées grâce aux décisions courageuses de la conférence nationale qui, il faut  le reconnaître, a été acceptée par le général Mathieu Kérékou grâce à son esprit patriotique et malgré les pressions qui l’entouraient. Il faut aussi rendre hommage à Nicéphore Dieudonné Soglo, premier ministre à l’époque,  qui a eu le privilège de conduire les premières réformes en tandem avec le général Mathieu Kérékou ainsi que Mgr Isidore de Souza qui a dirigé avec dextérité les travaux de la conférence et a joué un rôle important en tant que président du Haut Conseil de la République, la structure législative.   

Quelles sont les grandes réformes administratives qui ont sonné le glas de l’anarchie de la période révolutionnaire?
Nous avons sur le plan politique le multipartisme. Les gens ont pu recouvrer leur liberté d’association. Ensuite, un système de pluralisme non seulement politique mais aussi syndical. Sur le plan économique, les travailleurs qui avaient des arriérés ont pu être satisfaits grâce au premier ministre Soglo. Ce dernier a pu rétablir les grands équilibres macroéconomiques même si l’engouement qu’on avait au départ s’est émoussé avec certaines pratiques politiques des hommes qui nous gouvernent aujourd’hui.

Qu’en est-il de l’alternance à la tête des organisations  syndicales de 1990 à ce jour?
La Csa est une confédération démocratique où les débats sont libres et où l’alternance est effective. La preuve, c’est que depuis 1991, le premier secrétaire, Léopold Dossou a fait un mandat. Le second fut Zakari Ibrahim qui a aussi fait un mandat; le troisième secrétaire, Attigbé Guillaume a fait deux mandats de 4 ans et moi-même qui suis en train de faire mon deuxième et dernier mandat. Néanmoins, tout n’est pas parfait au niveau des confédérations. Il en existe qui ne respectent pas leurs propres  textes.

Quels sont les acquis de l’administration publique au regard de l’actualité des cinq dernières années?
Ce serait faire preuve d’une malhonnêteté intellectuelle que de dire que rien n’a été fait. L’actuel président de la République a fait des efforts pour améliorer le cadre de vie des travailleurs à travers des augmentations successives de salaires. Néanmoins, il y a une injustice au regard de la manière dont les fruits de la croissance réalisée grâce aux efforts des travailleurs sont répartis. Sur le plan social, la répartition n’est pas équitable. Tout ceci a des répercussions sur l’économie. Toutefois, le ministre de la fonction publique vient de nous faire appel pour relire les statuts de la fonction publique. La rencontre est prévue pour ce jour.  

Réalisée par Euloge Quenum

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