Forces et faiblesses des médias livrés aux velléités liberticides
En vingt-deux ans de démocratie pluraliste, les journaux n’ont pas dérogé à une seule et même règle: faire florès, tels des champignons, dans un environnement sociopolitique parsemé d’embûches.
Le Bénin est catalogué pour être le pays au monde où, de 1990 à 2011, on a pu dénombrer le plus de titres de journaux à parution quotidienne d’envergure nationale. Du point de vue de la quantité –près de la cinquantaine- qui témoigne de la grande ouverture et de la vitalité de son processus démocratique, le pays aura fait son expérience en matière de liberté d’entreprise. Au total, plus de 300 publications, toutes catégories confondues, sont déclarées et enregistrées au ministère de l’intérieur. Les premiers titres de la presse privée ont paru à la fin des années 80. Ce furent les hebdomadaires «La Gazette du Golfe», «Le Forum de la Semaine» et «Tam-Tam Express».
Au démantèlement du parti-État du PRPB, en 1989, le paysage médiatique béninois a connu une effervescence sans précédent, et même après, au cours de la transition démocratique qui a suivie. Beaucoup de titres sont nés et mis sur le marché, mais peu ont pu survivre au-delà de quelques parutions, essentiellement pour des raisons économiques. Actuellement, certains ont une périodicité fortement aléatoire tandis que d’autres, comme des événementiels, ne réapparaissent qu’en période électorale. Aujourd’hui, en dehors de La Nation, journal de service public, on arrive à citer pêle-mêle et de façon non exhaustive, une bonne dizaine de journaux qui essaient d’être présents au quotidien parmi lesquels votre canard préféré «La Nouvelle Tribune». Les périodiques (hebdomadaires, mensuels ou bimensuelles) aussi tentent d’avoir une parution régulière. Il n’en demeure pas moins que pour y arriver et s’y maintenir, le chemin est parsemé d’embûches.
Faire taire la «voix des sans voix»
Le marché de la publicité et des annonces jamais régulé reste plus que sauvage et partagé entre quelques titres qui se l’arrogent. La plupart des confrères étant contraints au défi de survie, ils se soumettent au diktat d’annonceurs politiquement orientés et succombent aux offres de communication sporadiques que ces derniers leur proposent. Ainsi, partagées entre le devoir d’informer en toute honnêteté et la nécessité d’exister, beaucoup de rédactions ont vite fait le choix qui, en général, édulcore leur ligne éditoriale. Les velléités de faire taire la «voix des sans voix» exprimées par les différents pouvoirs qui se sont succédé sont une manifestation de tous les instants. Pour le commun des Béninois, la palme de la volonté de mettre la presse sous coupe réglée revient au régime de l’actuel chef de l’Etat, Boni Yayi.
Vers la fin de l’année 2011, un quotidien privé, «Le Béninois Libéré», est suspendu pour un article d’opinion et ses principaux rédacteurs interdits à jamais d’exercer la profession de journaliste dans le pays.
L’instance de régulation des médias se montre par contre incapable de rappeler le pouvoir à l’ordre quand ce dernier empêche manifestement la diffusion de l’information. Son silence suspect est fortement critiqué à l’ occasion des débats brouillés sur Rfi au sujet de la gouvernance sur l’affaire ICC Services. On rappelle que les positions du gouvernement allaient être attaquées.
L’organisation de l’accès équitable des différentes forces politiques aux médias d’État lors des consultations électorales est, à ce jour, le tendon d’Achille des activités de régulation du secteur.
Du côté de l’audiovisuel, après l’adoption de la loi et l’appel à candidature, les premières autorisations ont été délivrées en 1995 à des promoteurs de radios privées, commerciales ou associatives et de télévision qui diffusent leurs programmes. A la date d’aujourd’hui et, sur l’ensemble du pays, on compte un peu plus de la centaine de radios libres, de toutes typologies et 4 chaines de télévisions privées.
Mais, la libéralisation de l’espace médiatique entreprise, depuis la seconde moitié des années 90 a connue un coup d’arrêt et les fréquences de diffusion radio et télé ne sont plus attribuées à l’avènement au pouvoir en 2006, du président Boni Yayi. Ce qui montre à nouveau la tendance de son pouvoir de mettre fin, du moins de contenir l’exercice de l’un des droits humains fondamentaux: la liberté de presse et d’opinion.
Des journalistes qui ne vivent pas de leur métier
Entretemps, en 1997, l’État décide d’accorder à la presse privée, une aide régulière de 300 millions de f CFA dont l’enveloppe bénéficie d’une rallonge supplémentaire de 50 millions f Cfa, depuis 2006. Même si certains journaux opèrent des rapprochements avec les milieux politiques, l’indépendance de la presse est relativement garantie. Il reste que les dérapages que le métier offre à voir relèvent d’un défaut de professionnalisme, de plus en plus, aplani grâce à une aide à la formation accordée par l’État et gérée par les associations professionnelles.
Le social des animateurs de la presse béninoise, ceux du secteur privé notamment, n’est cependant pas enviable et la plupart des journalistes ne vivent véritablement de leur métier qu’en se soumettant aux prébendes distribuées selon le bon vouloir des «puissances d’argent» qui les tiennent en respect. La convention collective mise en place par les associations, et qui aurait pu permettre d’améliorer les conditions de vie et de travail, n’est jamais signée des patrons de presse. Il n’est donc pas en vigueur.
Sur l’autre versant des libertés fondamentales, celui du front syndical, les réalités sont presqu’identiques a celles des medias. Beaucoup d’entités ont vu le jour au sein des administrations de l’État mais les tendances à l’étouffement ou à la récupération y sont manifestes. Une récente proposition de loi est en cours d’élaboration par les députés pour, dit-on, réguler les grèves. Au fond, elle est faite pour plutôt les interdire que pour organiser au mieux la continuité du fonctionnement de l’État, tout en protégeant les droits des travailleurs.
On retiendra qu’en un quart de siècle, la liberté d’opinion, de presse et d’association, a travers les partis politiques ont connu une évolution contrastée qui tient compte de la qualité des hommes qui essaient, à travers les âges, d’écrire l’histoire du pays.
Emmanuel S. Tachin