Constant Agbidinoukoun à propos des temps forts de la conférence: «La journée du 25 janvier était celle de la victoire…»
Constant Agbidinoukou, journaliste à la retraite fut de sa position de reporter pour la télévision nationale (Ortb), témoin oculaire du déroulement de la conférence nationale des forces vives. Il revient, dans cet entretien sur les moments forts de l’événement, les risques encourus et jette un regard sur le parcours du monde médiatique et politique béninois de cette époque.
Quels étaient les temps forts de la conférence?
L’ouverture, elle-même était déjà un temps fort. Dès l’ouverture le président du comité préparatoire avait donné le signal. « Cette rencontre est une rencontre de vérité, historique que chacun laisse de côté les atermoiements, les différences pour que nous puissions nous rassembler parce que l’enjeu de la conférence, c’est le Bénin », avait dit Me Robert Dossou. Il faut sauver le Bénin, faire en sorte que nous allions vers un renouveau démocratique. Quand le président Kérékou a pris la parole, il ira dans le même sens : « Il faut faire en sorte qu’on aille vers le renouveau démocratique, que les forces politiques, les sensibilités nouvelles qui se retrouvent se parlent entre elles, qu’on débouche sur une charte de bonne gouvernance, d’unité nationale ».
Le président Kérékou était très attaché aux travaux. Il suivait tout. C’était une chance pour nous d’avoir un président du présidium en la personne de feu Mgr Isidore de Souza qui comprenait exactement les choses qui partageait l’opinion du public, l’opinion des délégués qui posaient les vraies questions, qui cherchaient à trouver les meilleures solutions aux questions qui sont posées.
Le président Kérékou n’hésitait pas à venir directement à la conférence pour donner son point de vue sur les sujets qui fâchent. Face à la virulence de certains délégués qui faisaient le procès du régime il est venu marteler devant les délégués hébétés « qu’on ne me demande pas de démissionner ». Vous pouvez me destituer mais surtout ne demandez pas de démissionner » ,répéta-t-il à l’envi. Le message a été vite compris et l’ensemble des délégués comprit qu’il fallait aller à l’essentiel et laisser de côté l’accessoire . Il faut un vrai programme pour que les investisseurs reviennent dans le pays et que l’économie puisse redémarrer et que les écoles puissent rouvrir leurs portes.
Un petit temps fort a été ce jour où le colonel Maurice Kouandété a piqué une vive colère .Il a pris la parole pour injurier et menacer tout le monde. Il a dit dans son intervention que des gens ont commencé déjà par négocier avec les anciens présidents et certaines personnalités. Il conclut en menaçant de représailles contre tous ceux qui seront tentés de destituer le président Kérékou. Après quoi il ramassa ostensiblement ses documents et quitta la salle de conférence. Cette sortie tonitruante du spécialiste des coups d’Etat souleva un tollé général. Le président Maga a dit qu’il n’aimerait pas que le sang coule et qu’il tenait à ce que nous puissions nous entendre et aller vers le renouveau démocratique. Le président Ahomadégbé a dit qu’il connaît très bien le colonel Kouandété ; il est un spécialiste des coups d’Etat et quand il promet, il le fait. Il fallait alors se méfier. Quant au président Zinsou, victime du coup du seul coup de force réussi en 1969 du colonel Kouandété il se montrera rassurant en affirmant que tout cela n’était que divertissement. Il ne fallait pas prêter le flanc à ceux qui voulaient divertir les délégués et plaida pour la poursuite sereine des travaux. Ce qui a été fait.
Mais Mgr de Souza a dit quelque chose de très important. Il dit que nous serions responsables de ce qui va nous arriver. Parce que la situation est très préoccupante. Et Qu’aucun bain de sang ne devrait nous éclabousser et nous emporter dans ses flots. Que chacun devrait mesurer l’importance de la situation nationale et faire en sorte que la conférence débouche sur des solutions probantes pour relever le défi du renouveau démocratique.
Il y a également une très importante journée que nous avons appelée la journée de la victoire. C’est celle du 25 février. La nuit du samedi 24 au dimanche 25 février 1990, les délégués ont proclamé la souveraineté de la conférence. Ses décisions devaient s’imposer à tout le monde. Ce ne fut pas chose aisée d’autant que les caciques et les militants du Prpb qui étaient des délégués n’y étaient pas favorables. Des débats houleux s’en sont suivis mais puis l’on passa au vote. La majorité a voté pour la souveraineté de la conférence. Ce fut un moment d’intenses émotions .On a entonné l’hymne national repris en chœur par l’ensemble des délégués debout pendant que les les barons du Prpb sont restés assis en signe de protestation. Toutefois, jusqu’à la fin, cette souveraineté a été réelle. C’est d’ailleurs pourquoi on a parlé de la conférence nationale souveraine.
Autre temps fort : l’élection du premier ministre. Il y avait plus de 50 candidats qui voulaient ce poste parce qu’on avait beaucoup de cadres. Mais le choix a été porté sur Nicéphore Dieudonné Soglo rentré de Washington moins d’un an avant la conférence nationale. On a beaucoup fait foi à sa connaissance de l’économie et de l’expérience accumulée en tant qu’administrateur à la Banque mondiale.
Je vous assure que la clôture de la conférence, c’est-à-dire le 28 février était un autre temps fort. Car , étant donné le caractère imprévisible du président Kérékou, on se perdait en conjectures quant à sa volonté d’ accepter toutes les recommandations et les conclusions issues de la conférence. Il faut saluer un homme, le professeur Tévoédjrè. Il a présenté un rapport général exceptionnel et convainquant dans un français très châtié où les figures de style, les formules chocs ont frappé l’opinion. Il a pris à témoin tout le peuple et tous les ambassadeurs présents. Ceux de la France, des États-Unis, du Canada, de l’Allemagne, et la Russie etc. Ce qui a contraint le président Kérékou qui à son tour, a dit qu’il souhaite que la conférence nous mène vers le renouveau démocratique. Et que toutes ses résolutions seront appliquées. Et tout le monde s’était levé pour applaudir pendant trois à quatre minutes. Il a précisé que sa décision n’était mue par la peur ou un quelconque défaitisme et et qu’il n’était guidé que par l’intérêt national. Et on est allé au renouveau démocratique. Le 12 mars 1990, il a été mis sur pied un gouvernement dit de transition que dirigeait le premier ministre Soglo jusqu’à la première élection démocratique où il a été élu. Et ensuite les élections législatives.
Mais quels étaient les risques?
Beaucoup de risques dont la guerre civile. Le Parti communiste du Bénin (Pcb), ex- Parti communiste du Dahomey (Pcd) disait dans un document que la conférence nationale est un marché de dupes. C’était une erreur, il ne devrait pas être absent. Le parti communiste était en effet la force de pression la plus importante, la mieux organisée face au Prpb.
Quel regard avez-vous sur l’évolution du monde des médias de 90 à ce jour?
De façon générale, la presse a beaucoup évolué au Bénin. Mais tous les pouvoirs veulent avoir la presse avec eux. De 90 à 96 personne ne peut dire que le quotidien d’Etat «La Nation», l’Ortb (la radio et la télévision nationale de service public) n’étaient pas libres. De toutes les façons, on ne peut pas limiter la presse, c’est un combat permanent. Ce n’est pas que tout est rose dans ce milieu. Sous tous les cieux, les pouvoirs politiques veulent toujours avoir la presse avec eux. Il faut que les journalistes puissent exercer leur métier librement la liberté que ce soit dans les organes de service public comme dans les organes de service privé. A l’Ortb, il faut plus de débats, il faut beaucoup d’émissions qui conscientisent, qui mobilisent qui sensibilisent qui éduquent. Il faut donner la parole à toutes les sensibilités politiques. Il faut que les journalistes se cultivent. Mais il faut reconnaître qu’il y a de jeunes journalistes cultivés. Il faut qu’on leur laisse la main et qu’on n’ait pas peur.
Et le plan politique?
Sur la voie de l’évolution politique le Bénin a fait de grands efforts bon an mal an, on organise quand même des élections souvent à bonne date mais ce n’est pas toujours parfait et il faut améliorer tout cela. Le multipartisme intégral est un leurre. On ne peut pas avoir 200 partis politiques pour un petit pays comme le Bénin. 05 grands partis suffisent.
Quelles sont les difficultés du Bénin démocratique?
Les grandes difficultés sont d’ordre économique. Une démocratie ne peut pas évoluer sans une économie forte. Les acteurs politiques doivent s’entendre sur l’essentiel. Il faut qu’ils soutiennent les réformes mais l’opposition doit exister. Sans opposition, il n’y a pas de démocratie forte. Au Ghana au Botswana, en Afrique du sud, c’est comme ça, la classe politique soutient les réformes qui vont dans le sens du développement du pays. Et quand le chef de l’Etat fait mal on le dit.
Propos recueillis par Léonce Gamaï
Transcription: Olivier