La presse béninoise : une descente progressive aux enfers

Difficultés d’accès aux sources de l’information, conditions de vie et de travail assez difficiles des acteurs de médias, financements obscurs et contraignants, manque de professionnalisme dans le traitement de l’information…

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Près de seize ans après sa libéralisation, la presse béninoise est toujours dans les carcans. A tout cela, il faut ajouter, depuis 2006, la volonté du pouvoir de la bâillonner et de l’avoir sous son joug. Panorama d’un édifice important de la démocratie qui s’écroule progressivement.

Le mardi 23 Avril dernier, lors du lancement de l’Agenda de la presse, le vice président de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), Edouard Loko, a fait une intervention magistrale à la maison des médias et a conclu par cet aphorisme : « notre presse est menacée ». Dans cette euphorie d’une cérémonie officielle, devant des confrères presque tous impatients d’avoir leur « agenda » et de rentrer dans leurs différentes rédactions pour « bosser », ce bout de phrase n’a pas eu l’écho nécessaire, dans une presse de plus en plus abonnée à être la caisse de résonnance des pouvoirs publics et qui abandonne progressivement l’art de la critique et des analyses qui égratignent le gouvernement. Et pourtant la menace est bien là. Venant d’abord d’un de ses fondements juridiques. En effet, les lois qui encadrent l’exercice de cette profession au Bénin n’ont pas été si tendres au journaliste qui, pour la moindre chose, peut tomber sous le coup d’une faute et peut être être traîné devant les tribunaux. Malgré cela, rien n’a été fait pour faciliter la tâche au journaliste. En dehors de la difficulté pour avoir accès à l’information, et ceci à cause de l’absence d’une loi qui favorise l’accès des médias aux sources d’information, les journalistes ne bénéficient pas de conditions de vie et de travail adéquats. Pour la plupart sans salaire – problème criard dans la presse écrite – ils sont contraints à courir derrière les perdiems et les dessous de table qui conditionnent souvent leurs écrits et leurs émissions.

Patrons téléguidés, presse aux ordres

L’un des problèmes sérieux qui portent entorse à la liberté de presse au Bénin, c’est l’existence de financement officiel, crédible. Très peu d’institutions et de bailleurs de fonds s’intéressent à cela. Seul l’Etat consacre une enveloppe pour la presse privée, mais l’aide ne prend guère en compte la création de nouveaux médias. Conséquences : la plupart des médias audiovisuels et de presse écrite sont financés en sourdine par des hommes politiques qui ont un droit de regard sur le contenu et le traitement des informations, si ce n’est pas eux mêmes qui créent l’organe, officieusement ou au vu de tous. Souvent, la ligne éditoriale des organes de presse est conditionnée par la posture politique de ces derniers. Et ceci pourrait bien expliquer certains dérapages observés dans les médias. 

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Sous Yayi, le bâillon et la censure

Depuis 2006, la presse a reçu assez de coups.  A sa prise de pouvoir, le Chef de l’Etat a très tôt affiché ses ambitions de caporaliser la presse et de n’y entendre que sa voix et celle de gens qui lui sont favorables. Il a aussitôt initié des contrats « juteux » avec des organes de presse qui ne doivent plus critiquer le gouvernement. Tous les organes sont ainsi assujettis et contraints à ne faire que l’éloge du gouvernement. C’est sous Yayi que les premières interpellations de journalistes ont commencé. Les premiers furent les journalistes du quotidien Diaspora de Sabbat, arrêtés pour avoir dit qu’une de ses filles souffre de maladie mentale. Le directeur de publication et le rédacteur de ce journal ont été gardés dans un commissariat et présentés au procureur qui les a heureusement relaxés. Progressivement, le gouvernement a installé sa main-mise sur toutes les chaînes de télévision. La seule qui a réussi à lui tenir un peu tête, c’est Canal3 jusqu’à la dernière élection présidentielle où le KO y a été annoncé pour la première fois.  A l’Ortb, média de service public, l’opposition et la société civile ont progressivement perdu du temps d’antenne. L‘émission « Bonjour citoyen », la seule qui a pu, pendant un moment donné, réussir à équilibrer l’information, a été finalement suspendue par la Haac, suite à une requête du Chef de l’Etat. C’est aussi la même qui ferme définitivement le quotidien « Le Béninois Libéré » pour avoir critiqué les Chefs d’Etat du Conseil de l’entente comme des « mal-élus ». Le gouvernement a ainsi réussi à installer une sorte de psychose dans le paysage médiatique béninois. Très peu de journalistes ont encore le courage de dire la vérité, et la vérité des faits. Aujourd’hui, avec un piètre 79è rang dans le monde pour la liberté de presse, le Bénin n’émerveille plus la communauté internationale. Au fil des jours, les espaces de liberté d’opinion se réduisent comme une peau de chagrin. Et l’édifice démocratique perd une de ses pierres angulaires.

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