Dans son Plan stratégique national 2012-2016 de lutte contre le Sida, le Bénin se fixe comme objectif, au niveau du premier des 7 axes stratégiques, de «Renforcer la prévention de la transmission du Vih et des Ist», avec des actions ciblées à l’endroit des travailleuses du sexe (Ts), leurs clients et partenaires. Mais, la mise en œuvre est confrontée à des obstacles.
Les travailleuses du sexe (Ts), leurs clients et partenaires, sont privilégiés, est-on tenté de dire, dans les politiques nationales du Bénin en matière de lutte contre le Sida, pour les cinq prochaines années. Du moins, vu l’élaboration du Plan stratégique national (Psn 2012-2016). Un Plan établi en avril 2012, selon l’approche de planification axée sur les résultats, et s’inspirant de la vision de l’Onusida, à savoir, "Zéro nouvelle infection, Zéro discrimination et Zéro décès dû au Sida". Et avec comme principal impact, «la baisse significative de nouvelles infections et surtout l’élimination de la transmission du Vih de la mère à l’enfant». Pour y parvenir, le plan est subdivisé en 7 grands axes, dont le premier prend en compte les Ts, leurs clients et partenaires. Intitulé, «Renforcement de la prévention de la transmission du Vih et des Ist», cet axe spécifie la première manche de l’impact principal du Psn. Il est en effet recherché ici, la réduction de 50 % de la transmission par voie sexuelle, dans la population générale, et notamment dans les groupes spécifiques et vulnérables d'ici à 2016.
Durant cette même période, le programme prévoit d’amener à 92% le taux des Ts, clients et partenaires fixes ayant des pratiques à moindre risque d’infection.
Pour y parvenir, il est mis en place quatre stratégies d’interventions ciblées et appropriées, rien qu’en direction des Ts, clients et partenaires. Ce sont, la «Mise en place des programmes d’intervention (actualisation de la cartographie des sites, IEC/CCC, AGR, dépistage, PEC globale)», le «Renforcement/développement des capacités des Ts», la «Promotion de l’utilisation systématique des préservatifs avec tous les clients et partenaires», et l’«Extension des sites de prévention, prise en charge des IST/VIH».
Des innovations certes, mais des problèmes
Ces quatre stratégies font un ensemble de 22 actions prioritaires, dont l’exécution est à la charge d’Organisations non-gouvernementales, en partenariat avec le Pnls. Mais, cette tâche est visiblement confrontée à un certain nombre de difficultés. Entre autres, le manque de communication et les difficultés liées au processus de financement des partenaires techniques et financiers (Ptf) du Pnls, nous énumère Emmanuel Zinsou. Il est le Chargé de programme au sein de l’Ong Mutuelle de Jeunes Chrétiens pour le Développement (Mjcd). Une structure qui travaille avec les Ts à Cotonou depuis une dizaine d’années. Il reconnait, certes, que ces actions prioritaires mentionnées dans le Psn 2012-2016, sont des innovations, mais signale en même temps que ce sont des innovations qui ont entraîné des problèmes, par manque de communication. Ayant pour corollaire la démobilisation des Ts, entre autres.
En effet, la Brigade des Mœurs est impliquée, pour des actions à l’endroit de cette cible. Mais, avec ses descentes dans les maisons closes, les responsables de ces lieux n’ont pas compris l’objectif. Pour les Ts, la Brigade est à leur trousse, alors qu’elle était plutôt dans un rôle de protecteur. «La Brigade s’est impliquée, pas pour réprimer, mais pour sensibiliser» Précise Emmanuel Zinsou. Toutefois, cette brouille a entraîné la démobilisation des Ts qui ne venaient plus aux consultations. Il a dû y avoir une séance d’explication, pour remobiliser un peu cette cible. Aussi, a-t-il été élaboré désormais une carte pour ces Ts. Mais, ceci n’a pas évolué.
Autre raison qui ne permet pas la mise en œuvre effective et facile de ses innovations, c’est le processus, dira Emmanuel Zinsou. Il s’agit, en clair, explique-t-il, du genre de contrat liant les Ong au Pnls dont les fonds viennent des Ptf. Et c’est à ce niveau que se trouve le nœud qui reste encore pénible à dénouer. La procédure de décaissement est complexe et ne facilite pas l’exécution du contrat. Ce pour quoi, a-t-il confié, le Mjcd, après l’exécution de la première phase, a fait part au Pnls de sa décision d’arrêter la collaboration avec un tel contrat et une telle procédure. Certes, des Ong vont se débrouiller pour exécuter, mais les résultats ne suivront pas, avertit le Chargé de programme. Compte tenu de cette situation, l’atteinte d’un taux de 92% de Ts, clients et partenaires, qui ont des pratiques à moindre risque d’infection à Vih d’ici à 2016», est hypothéquée.
Conséquence qui se répercutera sur ce premier axe de renforcement de la prévention de la transmission du Vih et des Ist, notamment en ce qui concerne la réduction de 50% de la transmission par voie sexuelle dans la population générale, et aussi dans les groupes spécifiques et vulnérables d'ici à 2016. En effet, les Ts, clients et partenaires, forment une «population-passerelle qui fait le pont entre les Ts et la population générale», lit-on dans le rapport de l’Enquête de surveillance de deuxième génération (Esdg-Bénin, 2012). «La prévalence de l’infection par le Vih est estimée chez les Ts, en 2008, à 26,5%», selon Esdg-Bénin, 2008. Quatre ans plus tard, ce taux reste inquiétant, même s’il a connu une baisse. 20,9% selon l’Esdg-Bénin 2012.
Réduire alors de 50% la transmission par voie sexuelle dans la population générale, et notamment dans les groupes spécifiques et vulnérables, induit non seulement une spécification d’actions sur cette activité (la prostitution) qui se révèle être l’un des déterminants majeurs de l’épidémie du Vih/Sida au Bénin, mais surtout des résultats concrets. C’est un domaine où l’échec n’est pas permis. Les rédacteurs du Psn 2012-2016 en sont d’ailleurs conscients, en les mettant en pôle position dans le Programme.
Notons que le Psn 2012-2016 est fait de six autres axes, à savoir : «Elimination de la Transmission Mère-Enfant», «Renforcement de la prise en charge globale», «Renforcement du système de santé», «Renforcement du système communautaire», «Suivi-évaluation, informations stratégiques et recherche» et «Gouvernance, plaidoyer et mobilisation de ressources». Tout ceci pour un budget estimé à 105.145.843.966 F Cfa.
Plus de peur que de mal à Jonquet
A Jonquet, un des quartiers généraux des «travailleurs du sexe» à Cotonou, ce cas d’abandon par des Ong, semble être sans effet sur le niveau de conscience des Ts sur le Sida. Même si certaines d’entre elles manquent toujours au rendez-vous de sensibilisation. Demoiselle X, est l’une des Ts rencontrée dans la soirée de ce dimanche 03 novembre 2013, aux environs de 20 heures à Jonquet. Sur la petite chaise disposée à côté de son lit une place, est déposée une bonne dizaine de préservatifs homme, déjà en détail. C’est sa prévision pour cette nuit. Elle nous décrit la chronologie des actes, une fois en chambre, après négociations à l’entrée de la maison close. «Je prends mon argent, je place le préservatif au client et …». D’après ses explications et démonstrations, elle ne se met pas en position sans avoir réussi à amener son client à se protéger. Demoiselle X s’est montrée éveillée et stricte sur l’étape de port du condom. «Sans préservatif, je ne fais pas», soutient-elle faisant savoir aussi qu’elle ne s’est jamais laissé aller à un rapport sexuel non-protégé, même contre une forte somme d’argent, depuis qu’elle est dans cette filière. Et pourtant, cette Ts n’accueille pas toujours les structures à charge de les sensibiliser sur le Sida.
Elle rejette tout argument visant à lui prouver l’avantage pour elle de recevoir ces structures et de suivre leurs conseils.
A l’opposé de celle-ci, Dame Juliette, dite Maman bébé, nous fait part de sa bonne collaboration avec les organes de sensibilisation. Elle cite en exemple le Centre de santé de Cotonou I. A ses dires, les agents de ce centre, tiennent de manière régulière avec les Ts de la zone, des rencontres de sensibilisation, de dépistage et de vaccination. Si notre première interlocutrice ignore d’autres moyens de transmission du virus du Sida, outre la voie sexuelle, et pense que seule l’exigence du préservatif la protège à 100%, Maman bébé en a de plus amples connaissances. Et en fait profiter ses jeunes sœurs du métier, comme demoiselle X, qui n’acceptent pas toujours les organes de sensibilisation. Avec sa casquette d’ancienne dans le domaine, informe Maman bébé, elle prend parfois l’initiative d’entretenir ses collègues sur les risques sanitaires de leur métier (contamination au Vih et Ist), et les aptitudes à avoir pour y faire face. A en croire Juliette, le Centre de santé de Cotonou I procède souvent à des prélèvements de sang, pour des analyses sur ses maladies.