Les derniers évènements relatifs à l’enregistrement des candidatures aux prochaines élections législatives suscitent dans l’opinion publique des interrogations sur l’état de notre démocratie. Les partis opposés au régime Talon dénoncent une volonté de les exclure des prochaines joutes électorales. On assiste cà et là à des protestations de certains secteurs de la population. Le président, lors de la première rencontre avec l’opposition, comme lors de ses précédentes sorties à la faveur des récentes crises de notre société, a fait un quasi monologue ponctué de déclarations définitives, de leçons de droit, et de la réaffirmation de sa méthode qui est de « forcer un peu » pour dit-il reformer le pays.
Au centre de la crise qui se dessine se trouve la question de la procédure d’enregistrement des partis, et des conditions de participation aux consultations électorales.
Au-delà de ces questions, le citoyen que nous sommes, a l’instar de nombreux compatriotes, est préoccupé par la légitimité et rôles des institutions de la république, en tant qu’expression de la souveraineté populaire, et du consensus démocratique, tel qu’issu de la conference nationale des forces vives de 1990, conférence fondatrice de la république actuelle. Accessoirement, l’étendue du mandat donné par le peuple à ses élus pour « réformer » ou gérer la société, les limites de l’usage de la « force » et de la coercition –administrative, ou préfectorale, policière – pour imposer des réformes politiques et socio-structurelles, les limites de l’ingénierie sociale par un régime – passager par définition – ( 5 ou 10 ans maximum de mandat présidentiel) sont autant de points d’interrogation au vu de la pratique du régime Talon pendant les trois dernières années. À partir de quel moment, le contrat social entre dirigeants et dirigés est rompu?
Enregistrement ou Autorisation des partis politiques
La controverse actuelle sur le « certificat de conformité » pose en fait le problème central de la procédure de reconnaissance des partis comme personne morales pouvant agir notamment dans le domaine politique. Les partis doivent-ils être autorisés à fonctionner, ou doivent-ils être simplement enregistrés aux fins d’identification.
Les partis, en tant que forme particulière d’association, sont l’expression de la liberté d’association, une des libertés essentielles de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, qui stipule :
Article 20 : Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.
Notons que cette liberté d’association, dans la déclaration universelle des droits de l’homme (dont notre constitution reconnait l’autorité supérieure) ne souffre d’aucune restriction ou limite, autre que le caractère pacifique de l’association.
L’existence des partis, en tant qu’association, ne peut donc être soumise à aucune autorisation préalable dans une démocratie.
Pour que les choses soient encore plus claires, la déclaration stipule : Article 30 « Aucune disposition de la présente Déclaration ne peut être interprétée comme impliquant, pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés. »
Quand on l’examine au fond , la charte des partis, votée par les députés de la 7eme législature, comporte de nombreuses restrictions à la liberté d’association, et apparaissent en tant que telles, comme des violations de la déclaration universelle des droits de l’homme a défaut d’être des violations de la constitution ( par la grâce du bout de phrase « dans les conditions fixées par la loi- ajoute à l’article 25 de notre constitution, bout de phrase qui permet toutes les manipulations par des législateurs peu soucieux de la protection des libertés fondamentales ). En particulier les dispositions de l’article 27 donnant au ministère de l’intérieur le droit de retirer l’enregistrement (un non-sens juridique, car un enregistrement n’est pas un agrément) semble une violation de la liberté d’association que les partis combattront le moment venu.
Afin d’assurer l’intégrité du processus électoral et l’impartialité des résultats, les partis représentés a la seconde législature du parlement ont écarté le pouvoir exécutif de l’organisation des élections. C’est la raison d’être d’une CENA comme organisateur des élections. On peut discuter de l’efficacité de ce choix au vu des expériences passées et présentes. Mais une chose est claire, dans un contexte ou le régime a choisi et déclaré publiquement « forcer un peu » pour faire aboutir ses réformes, on ne saurait laisser à une administration fortement politisée le soin de remplacer le système judiciaire pour juger de la légalité des partis, et le consensus comme condition nécessaire des reformes socio-politiques majeures, au-delà des majorités parlementaires mécaniques.
La séparation des pouvoirs est un principe fondamental de la démocratie et l’exécutif n’est pas juge de la légalité, le pouvoir judiciaire (pas la cour constitutionnelle) l’est !
Que le président se transforme en juge de la légalité des partis lors de son show présidentiel est un spectacle frisant le ridicule qui n’honore pas notre pays. Au demeurant, à ce stade la charte des partis définit le rôle du ministère de l’intérieur dans les articles 17 et 18 comme suit :
« Article 17 : La déclaration administrative de constitution d’un parti politique s’effectue par le dépôt d’un dossier auprès du ministre chargé de l’intérieur. Un numéro d’arrivée est immédiatement communiqué au déposant.
Article 18 : Le dossier mentionné à l’article 17 ci-dessus comprend :
– une déclaration signée et présentée par trois (03) membres fondateurs, mandataires du parti ;
– le procès-verbal de la réunion constitutive du parti politique, ledit procès-verbal devra comporter les noms, prénoms, dates et lieux de naissance, adresses, professions des membres fondateurs et les fonctions de ceux d’entre eux élus pour assumer des responsabilités dans les organes dirigeants au plan national ;
– quatre (04) exemplaires des statuts et du règlement intérieur ;
– quatre (04) exemplaires du projet de société ;
– les actes de naissances ou les jugements supplétifs des membres fondateurs ;
– les extraits du casier judiciaire, datant de moins de trois (03) mois des membres fondateurs ;
– les certificats de nationalité des membres fondateurs ;
– les attestations de résidence des membres fondateurs ;
– la dénomination du parti politique, son emblème, son logo et son sigle ;
– une fiche descriptive de l’emblème et du logo du parti ;
– l’adresse complète de son siège ;
– l’idéologie à titre facultatif. »
Comme on le voit, la liste des pièces est longue et particulièrement détaillée. La nécessite de signer la déclaration est explicitement spécifiée. Nulle part n’est mentionnée la nécessité de signer les statuts ! Le président nous parle de droit commun, et se réfère aux conditions de validité de contrat, pour justifier cette exigence brandie par son administration. Sans vouloir engager une discussion juridique stérile, peut être doit on rappeler au président que le pouvoir exécutif encore une fois n’est pas juge de la légalité en général, encore moins de la légalité des contrats. Le contrat est, dit-on la loi des parties, et les formes du consentement des parties sont l’objet de discussion de juristes, avec diverses formes de consentement acceptées par diverses jurisprudences établies. Le gouvernement, le ministère de l’intérieur est-il partie prenante au contrat entre un parti et ses membres ? Avons-nous des disputes sur la validite du consentements entre partisans ? NON !
Au delà, le DG et DGA des impôts, nommés ou maintenus par le régime se voient attribuer le pouvoir d’exclure des citoyens de l’élection législative, ce en dehors de toute décision ou condamnation judiciaire. Le DG et DGA des impôts devient juge de la jouissance des droits civiques à travers le pouvoir discrétionnaire de délivrance des quitus fiscaux hors procédure judiciaire!
Pour couronner l’échafaudage judiciaire mis en place par le régime Talon, le président nous assène dans son show que la cour constitutionnelle –dirigée par son avocat personnel et dirigeant de campagne- est dans son rôle de « réconciliation » du calendrier électoral pour corriger les erreurs du législateur ! Et toute honte bue, on ose nous parler d’excellence quand on fait voter et promulguer des lois sans en vérifier l’effet sur le calendrier électoral.
Mais au-delà du travail législatif et règlementaire approximatif ( dispositions transitoires a minima, absence de décret d’application…) fait dans la hâte de préparer le contrôle du prochain parlement, quel rôle a la CC ?, L’article 117 de notre constitution énumère de façon explicite les attributions de la CC et stipule s’agissant des élections législatives « Statue, en cas de contestation, sur la régularité des élections législatives; » Qu’est ce qui fonde l’intervention a priori ( avant toute élection) du juge du contentieux électoral qu’est la CC ? La CC –dont les décisions sont sans recours- est-elle devenue le substitut du gouvernement pour émettre des « règlements » ?
Il est clair que le régime Talon, en introduisant par la petite porte, un système d’autorisation des partis par le ministère de l’intérieur , en lieu et place du système de déclaration, viole la constitution du Benin, et met en péril l’équilibre des institutions. En mettant en place ces dispositions, quel est le but vise par le régime Talon ? Peut-on encore parler de démocratie quand le système de désignation des représentants du peuple, représentants en charge de légiférer, y compris de légiférer pour modifier la constitution est vicié par l’exclusion programmée de certains partis à la faveur d’un échafaudage juridico-administratif violant les principes constitutionnels de base et la déclaration universelle des droit de l’homme ?
Réformes politiques et la méthode TALON de « forcer un peu »
Deux fois déjà, le président a utilisé le terme « forcer » (un peu pour être précis) dans les show médiatiques organisés lors de crises socio-politiques sous son mandat. La première apparition de cette formule –si nos souvenirs sont bons- eut lieu lors de la rencontre avec les dignitaires musulmans lors des casses sauvages de Janvier 2018. Un après, les casses ont créé l’espace idéal pour l’accumulation d’immondices d’ordures dans les agglomérations urbaines comme à Bohicon. Les travaux d’embellissement qui étaient imminents et justifiaient l’urgence des casses sauvages sont toujours attendus un an après et le recours à la méthode de « forcer un peu » qu’affectionne le président pour faire passer ses réformes sans le consentement populaire. Aujourd’hui, c’est peut être une autre urgence qui pousse le président à vouloir « forcer un peu » les béninois dans le cadre de la manipulation du système électoral. Il est évoqué et répété ad nauseum la question de la prolifération des partis qui serait une entrave à l’animation de la vie politique. C’est un fait que la plupart des partis existants hier et aujourd’hui sont des clubs électoraux à base ethnocentriste. Mais ces clubs electoraux , pour leur survie, s’organisaient en coalition pour aller aux elections. Aujourdhui, c’est le régime qui organise les coalitions. En 2015, trois partis avaient officiellement réuni plus de 10% des voix : FCBE-AMANA ( alliance de de partis et club electoraux reunis autour du president d’alors) , UN ( un conglomérat de partis et clubs électoraux ), et PRD ( parti a base essentiellement ethno centriste). Sept autres « partis » auront au moins un élu avec des pourcentages de voix allant de 7,64% pour l’AND de Valentin Houde (5 élus) à 2,18% pour le réseau ATAO (1 élu). On est loin des 200 partis agités comme épouvantail. Avec toutes les manipulations du régime, on a eu sept listes de candidats déposées à la CENA, au moins deux listes empêchées pour l’heure (FCBE et Restaurer l’Espoir) et des partis comme le DUD de HOUDE réduit à ne participer qu’aux prochaines élections locales, la RB en conflit judiciaire. On le voit le nombre de listes entre 2015 et 2019 serait assez proche si certains partis n’étaient exclus de façon administrative et illégitime. Comme à l’accoutumée, la coalition se sont formées autour du régime au pouvoir, pour aller à la « rivière ».
Ou se trouve donc l’urgence de la réforme, son bénéfice, qui justifierait le recours à la « force » du régime contre la société ? Trouvera-t-on demain des immondices d’ordures a l’assemblée, a l’image des tas d’ordures qui ont rempli le vide cause par les casses sauvages ?
Au-delà de cette question, au nom de quel mandat, le régime de Talon se croit autorise a « forcer » les béninois, à leur imposer ses volontés qu’ils ne partagent pas. Qu’en est-il du consensus, principe a valeur constitutionnel ?
L’article 2 de notre constitution stipule « Art. 2. – La République du Bénin est une et indivisible, laïque et démocratique. Son principe est: le Gouvernement du Peuple, par le Peuple et pour le Peuple «. Il énonce clairement l’origine du pouvoir. Les dirigeants élus sont des représentants chargés –temporairement- de la gestion des affaires commune. L’idée de « forcer » le peuple est une idée fondamentalement réactionnaire et anti-démocratique. Elle présuppose que celui qui force sait mieux que le peuple ce qu’il lui faut. Elle suppose l’incapacité congénitale du peuple à discerner le bien et à œuvrer pour sa mise en œuvre. Seul un être supérieur, à l’image des rois du moyen âge, supposés avoir reçu délégation divine, peut savoir ce qu’il faut au peuple et celui est invite à le suivre docilement. Un tel mépris du peuple, une telle condescendance est le propre des autocrates modernes, qui veulent exercer un pouvoir de divin sur des citoyens considérés comme sujets. Cela est l’antithèse de la démocratie.
A l’inverse de la royauté, la démocratie représentative, donne aux élus le pouvoir de mettre en œuvre des politiques et une gestion pour laquelle ils ont été mandatés. Le mandat se traduit généralement par un consentement a priori et a posteriori. Le mandat a priori peut se concevoir comme l’adhésion a un programme. Mr Talon nous dit qu’il avait promis des réformes. Peut-être … Mais pourquoi se croit il oblige de nous « forcer » s’il s’agit de reformes que nous avons accepté ?
On nous avait promis de larges concertations. A l’arrivée, on a des complots contre le peuple élabores en comite secrets et imposes par des artifices légaux qu’on prend soin de sécuriser par le verrouillage des institutions de la république.
Dans les conditions ou le débat démocratique est absent, ou la « force » est le moyen de persuasion, ou la justice parait instrumentalisée pour poursuivre les adversaires politiques, avec des lenteurs provoquées succédant a des accélérations fulgurantes de procédures judiciaires, ou le vote sanction et le choix des représentants est lui-même teinté de manipulations, la préservation des acquis démocratiques est une question qui se posent aux patriotes et aux démocrates. Seul le peuple détient la réponse, mais rappelons aux dirigeants tentés par la ruse et la rage ces propose de Sénèque, philosophe grec de l’antiquité :
« Ôtez le respect de la justice et la bonne foi : Nul gouvernement n’est durable. «
Jean FOLLY, MBA (Contribution)
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