Et si le clergé béninois saisissait l’occasion pour redorer son blason terni !

Un des points positifs contenus dans le communiqué final récemment rendu public par la Conférence Episcopale du Bénin (Ceb) est l’heureuse évocation du 30ème anniversaire de l’historique conférence des forces vives de la Nation. Ce sera le 28 février prochain. Mais le lecteur attentif du compte rendu plutôt sybillin de cette rencontre trimestrielle formelle des évêques catholiques du Bénin reste sur sa faim quant à la seule manifestation envisagée pour célébrer l’évènement. Loin des attentes des orphelins de notre processus démocratique rudement mis à mal depuis bientôt quatre ans, par le régime dit de la Rupture.

En effet c’est par une simple messe prévue pour être célébrée à l’église St Michel que la Ceb entend marquer l’évènement le 28 février prochain. Un rappel inscrit au point 5 d’un communiqué qui en compte 10. Citation : « Les Évêques du Bénin invitent le peuple béninois en général et les fidèles catholiques en particulier à célébrer avec fierté et reconnaissance à Dieu, le trentième anniversaire de l’historique Conférence des forces vives de la Nation, à l’occasion d’une messe solennelle qui sera dite, le 28 février 2020 à la paroisse saint Michel de Cotonou à 19h00. »

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C’est une heureuse initiative de la part d’une communauté dont un des plus illustres membres a été le maître d’œuvre incontesté du succès de ces Etats généraux de la gouvernance militaro marxiste de notre pays.Elle devrait faire des émules du côté du pouvoir. Hélas ! On aura remarqué que la messe est prévue pour être célébrée, on ne sait pas trop pourquoi, à 19h. Aucune manifestation n’est prévue avant cette heure si tardive ni après (selon le point 5). Pourtant, les illustrissimes initiateurs du communiqué ne se sont pas privés de rappeler à l’endroit de toute la communauté nationale ce qui fait la quintessence de ce moment historique de notre vie nationale.Citation encore :

« En effet, poursuit le communiqué, grâce à l’esprit de tolérance et de réconciliation, le génie politique béninois a opéré la plus grande réforme de l’histoire politique de notre pays sans effusion de sang : le passage de la dictature à la démocratie. (souligné par nous) Les Évêques du Bénin souhaitent que la célébration de cet anniversaire soit l’occasion d’un effort collectif pour la sauvegarde de la mémoire et des précieux acquis politiques et économiques de ladite Conférence. Ce serait aussi l’heureuse opportunité pour évaluer notre engagement à la démocratie et à la bonne gouvernance.».

Pourquoi nos évêques parlent-ils d’effort collectif, quand on sait que ce sont les tenants du pouvoir qui ont confisqué les libertés acquises de haute lutte sous la menace des armes automatiques et des chars d’assaut ? Où et quand et par qui sera faite cette évaluation ? Le communiqué maintient le mystère, à moins que la simple évocation de cette évaluation suffise pour le bonheur de nos évêques

Manque flagrant de courage politique

On attendait mieux de ce rassemblement officiel, le premier de l’année marquant le début de la troisième décennie du 21 ème siècle. Et pour annoncer la quatrième décennie d’une démocratie secouée jusque dans ses racines depuis l’avènement du régime de la Rupture. Pourtant au point 4 de leur communiqué les évêques ont bien dit ceci : « En marge de leurs travaux, la Conférence Épiscopale du Bénin a eu à rencontrer le Chef de l’État, le Président Patrice Talon, pour lui présenter ses vœux de Nouvel An et aborder avec lui, des questions relatives à la situation socio-politique de notre pays»

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Et pourquoi donc n’avoir pas saisi l’occasion de cette rencontre officielle (la présentation des vœux) pour demander au chef de l’Etat d’aller plus loin que le dialogue tronqué qui a abouti au détricotage en règle de notre loi fondamentale adoptée de façon consensuelle à l’issue de l’historique conférence des forces vives de la Nation. Bien sûr, on peut nous rétorquer que « les questions relatives à la situation sociopolitique nationale » évoquées dans le reste du point sus-cité ont pu inclure l’évocation de cette date historique Mais ‘’Nos illustres Seigneurs’’ héritiers du cardinal Gantin, autrefois indigné par la célèbre et triste affaire Taïgla, de Monseigneur Robert Sastre pourfendeur du colonialisme et surtout de l’ancien archevêque de Souza ont visiblement manqué de courage pour d’une part rappeler au chef de l’Etat son engagement à discuter avec toute la classe politique dans la droite ligne de l’esprit de cette conférence nationale et de leurs propres vœux exprimés de servir de médiateur entre les protagonistes de la scène politique nationale.

¨ Mais force est de constater que le communiqué reste étonnamment muet sur le sort de la médiation engagée entre le chef de l’Etat et les acteurs politiques. Comme si l’épiscopat semble avoir pris acte du fait accompli de ce dialogue entre les partisans de la même mouvance. Il avait pourtant déclaré par le biais du secrétaire général de la Ceb que cette médiation se poursuivait. De ce point de vue, nos évêques auraient dû avoir le courage de saisir l’opportunité de ce trentième anniversaire pour initier ,dans le cadre de sa mission de médiation, une assise nationale (qu’importe l’appellation ) pour exiger, de la manière la plus ferme, le retour aux principes issus de la conférence nationale et dénoncer cette marche à reculons vers les méthodes dictatoriales honnies et décriées il y a trente ans, sous couvert de politique de développement.

Situation sociopolitique explosive et les attentes

Car le climat socio-politique qui règne dans le pays depuis l’avènement de ce régime est aux antipodes de celui souhaité par les Pères du Renouveau démocratique avec le slogan. « Plus jamais ça ». Un slogan célébré par le célèbre aphorisme de Albert Tévoédjrè, le bien nommé : « nous avons vaincu la fatalité ! ». Le principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs restauré à la conférence Nationale est aujourd’hui, en effet, mis sous l’éteignoir de la vassalisation totale de toutes les institutions de la République au pouvoir exécutif devenu plus fort que jamais. De même que le pluralisme médiatique consacré par la loi organique de la Haac et qui s’oppose à la concentration en une seule main des médias, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous assistons impuissants à la fermeture des journaux et des radios, sous des prétextes divers et l’Ortb est redevenu, malgré Sounouvou et consorts, la voix de son maître. Pathétique ! Idem pour le pouvoir judiciaire complètement déstructuré mis à mal par une politique de caporalisation de ses acteurs.

Au plan sociopolitique, de Cadjèhoun à Tchaourou, en passant par Savè, le calme apparent, imposé par les bruits de bottes et rythmé par la présence disproportionnée des chars et le cliquetis des armes automatiques est symptomatique de la frilosité des tenants du pouvoir et de la peur qu’il distille dans l’opinion. Les élections exclusives du 28 avril 2019 ont consacré, pour la première fois depuis trente ans, une assemblée monocolore pire que la majorité mécanique qui a voté toutes les lois scélérates liberticides dont le couronnement a été le vote récent du code électoral et de la charte des partis totalement remaniés pour les besoins de la cause de l’exclusion des acteurs les plus gênants. On citera pêle-mêle sans aucune prétention à l’exhaustivité : la loi sur l’embauche privilégiant le seul contrat à durée déterminée et des indemnités de licenciement plafonnées à neuf mois, quel que soit le nombre d’années passées au sein de l’entreprise ; le statut révisé de la fonction publique avec les mêmes dispositions liberticides que la loi sur l’embauche ; la loi sur les collaborateurs extérieurs qui crée une distorsion inadmissible dans les rémunérations, la loi sur la grève qui impose 10 jours seulement de grève dans l’année (une première au monde !). Sans oublier la loi sur le renseignement qui légalise ganan-ganan les écoutes téléphoniques effectuées en toute illégalité ; la loi sur les rassemblements non armés de plus de trois personnes. La loi sur le numérique qui condamne les internautes à des peines de prison supérieures à celles des voleurs en col blanc. Toutes ces lois adoptées en catimini par une majorité mécanique de députés acquis à la cause du pouvoir accentuent la précarité de l’emploi devenu rare depuis la dissolution au pas de charge des anciennes sociétés d’état Sonapra, l’Onasa, la Caia, et les carders, Benin Telecom, Libercom, etc… .

Renouer avec la tradition des combats politiques et citoyens

L’Eglise catholique doit renouer avec cette tradition de veille et de lutte citoyennes dans la droite ligne du Concile du Vatican II, des enseignements du Pape François et de l’héritage incommensurable de feu Mgr de Souza. Des enseignements qui appellent les pasteurs de l’Eglise à rester résolument aux côtés du peuple se faire la voix des sans-voix. La mémoire collective garde comme consolation le sacrifice et l’engagement citoyen du père Alphonse Quenum qui a été un grand prophète jusqu’au bout. Son neveu, le père André Quenum, nous laisse en héritage une décennie d’éditoraux d’inspiration inépuisable pour chacun de nous. Au sortir de la conférence nationale, notre Eglise faisait l’admiration de ses sœurs de la sous-région et même au-delà. Aujourd’hui, ce sont les Eglises sœurs de la RDC, de la Centrafrique qui tiennent le haut du pavé en Afrique. Cette Eglise de la RDC dirigée tour à tour par les cardinaux audacieux Malula, Musengwo, et aujourd’hui l’archevêque promu récemment cardinal, Fridolin Ambongo, a mené le combat citoyen avec constance et esprit de suite. Aux élections qui ont conduit à la désignation sur le tapis vert de l’alliance Tshisekedi-Kabila, cette Eglise a mis en place des structures parallèles de décompte de voix d’une redoutable efficacité. Lesquelles ont conclu à la proclamation officieuse mais unanimement reconnue du vrai vainqueur des élections : Martin Fayoulou. Mais la RDC, véritable scandale géologique n’est pas le Benin où les choses sont relativement plus simples. L’appétit vorace de grandes puissances est un des nombreux déterminants qui freinent l’évolution de ce pays- continent. Il n’empêche ! L’Eglise du Congo démocratique continue de jouer un rôle majeur dans la démocratisation de ce pays martyr. Un rôle que notre Eglise du Bénin, empêtrée dans ses contradictions, ses commodités, et luttes internes inavouables ne peut plus ou ne veut plus jouer 

iIl faut le dire tout haut l’épiscopat béninois, profondément secoué il y a quelques années par des affaires de mœurs, de pratiques charlatanesques et d’appartenance à des sectes ésotériques, laisse la fâcheuse impression d’une communauté sans âme et complètement tétanisée par le manque criard de prophétisme, de sacrifice, et de profondeur évangélique de ses pasteurs. Pas étonnant qu’à l’exception du cardinal Gantin, aucun autre évêque n’ait été élevé à ce grade, éminent, en son sein, à l’instar des Eglises sœurs de la Côte d’Ivoire, du Burkina-Faso, du Mali. N’était l’omerta qui règne en son sein , ces histoires sulfureuses de pédophilie et d’homosexualité auraient eu le même retentissement que celui les pays occidentaux déclenché par le mouvement ‘’me,too’’. Cependant, d’ici au 28 février 2020, le clergé catholique du Bénin et sa hiérarchie épiscopale ont encore le temps de se ressaisir et de redorer leur blason terni par le gâchis de près de quatre ans d’immobilisme et de compromission sous le régime de la Rupture.

5 réponses

  1. Avatar de Hontongnon
    Hontongnon

    Je fais mienne cette analyse de Vincent Foly sur cette initiative de la Ceb qui aurait été très noble si cette transition qui s’est opérée sans effusion de sang était devenue une tradition que nous célébrons d’année en année. Malheureusement, sous la rupture notre démocratie ne fait que s’abreuver du sang de ses compatriotes et cette organisation cultuelle qui devrait rester au-dessus de la mêlée pour combattre les pratiques malsaines que connaît notre processus a troqué son courage contre l’argent. L’éthique a déserté le forum chez nos pasteurs et monseigneur feu Isidore de Souza et le cardinal feu Bernadin Gantin se seraient retournés plus d’une fois dans leurs tombes. Cette célébration n’a aucun sens à mon avis et il faut la dénoncer. Merci pour cette veille citoyenne.

  2. Avatar de yves tiburce
    yves tiburce

    bien dit, il faut que le Bénin retrouve toute sa quiétude pour amorcer enfin son développement

  3. Avatar de yves tiburce
    yves tiburce

    Article bien pensé et bien écrit , la sauvegarde de la paix est une nécessité absolu pour le développement de notre pays

  4. Avatar de Francois
    Francois

    Mr Vincent Folly, si l’Eglise catholique avait pu convaincre le PR en faveur de ton client et financier comme au temps du yayisme concernant les redressements fiscaux a hauteur de 14 milliards serais-tu entrain d’ecrire tout ceci sur elle?

  5. Avatar de Soyinka
    Soyinka

    The best article so far….thanks for your courage,..

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