Lorsqu’en Février 1990, les Béninois « ont vaincu la fatalité » et embrassé la démocratie, l’espoir était dans tous les cœurs. Quoi de plus légitime pour un peuple qui a souffert pendant près de deux décennies, des affres d’un système de parti unique où la liberté était l’exception, et la pensée unique la règle. Le boom de partis politiques qui a suivi la délivrance du peuple a tôt fait de cimenter les bases d’une jeune démocratie naissante, promise a un bel avenir, avec à son chevet, des dizaines d’organisations non-gouvernementales, elles-aussi nées pour conforter la démocratie et compléter les actions d’un renouveau démocratique qui cherchait les repères de son essor économique.
L’un des aspects qui ont manqué de clarté dans la mise en œuvre des décisions issues de l’historique conférence demeure la confusion autour de l’option d’économie de marché. Jamais au cours des trois décennies qui ont suivi le déclenchement du renouveau démocratique, notre pays n’a su créer les fondements d’une économie de marché, appendice de la démocratie représentative, telle que souhaitée par les conférenciers de 1990. Comme des bébés siamois séparés par une chirurgie, chacune de ces deux composantes essentielles du produit de la conférence nationale a pris une direction contraire à la vision des conférenciers et aux aspirations du peuple béninois. Si on peut rendre justice au Président Nicéphore Dieudonné Soglo d’avoir poséles bases (quoique fragiles) de la relance économique dès la transition comme Premier Ministre, avec de nombreux chantiers dont les fameux travaux urbains à haute intensité de main d’œuvre (Tuhimo) soutenus par la Banque Mondiale, on peut déplorer que son séjour très court d’un mandat au Palais de la Marina comme Président de la République, ne lui a pas permis de concrétiser sa vision.
Les différents régimes successifs du Général Mathieu Kerekou 2-3 et du Président Boni Yayi n’ont pas réussi à consolider les bases économiques posées par le Président Soglo dont les actions avaient été quelque peu plombées par des grèves incessantes des organisations syndicales et les reformes imposées par les Institutions de Bretton Woods dont la plus emblématique était le départ volontaire de la fonction publique sans filet social solide, réformes qui ont affaibli l’administration avec le départ de certaines catégories de cadres dont l’économie avait encore besoin sans une étude sérieuse.
La confusion observée dans la mise en œuvre des grandes décisions de la conférence s’est poursuivie avec les 10 années du régime du Président Boni Yayi qui a pourtant suscité beaucoup d’espoir à son arrivée en 2006, avec un casting impressionnant de cadres, issues d’institutions financières régionales comme la Bceao, mais aussi d’organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale. On se souviendra de l’aveu du Président Boni Yayi, un jour d’Octobre 2012, dans un champ de coton dans la partie septentrionale du pays, de mettre en œuvre ce qu’il a appelé « la dictature du développement ». Cet aveu qui avait sonné comme une incantation n’était rien d’autre que l’expression de la difficulté pour le Chef des cauris de naviguer entre l’option démocratique marquée par les libertés et les exigences d’une économie de marché marquée par la concurrence, la participation citoyenne, la création d’une bourgeoisie et d’une classe moyenne, pour concrétiser avec les Béninois, le rêve du changement qu’il leur a vendu en Mars 2006 en face de candidats de grande facture comme le Président Adrien Houngbedji, homme politique d’expérience, plus rompu aux questions des droits de l’Homme, des libertés et de la démocratie.
Les mérites du Régime Yayi et sa gouvernance mitigée
Si on peut s’accorder pour dire que le Président Boni Yayi a démontré un engagement certain de porter le Bénin d’un niveau à un autre plus qualitatif, on peut aussi affirmer que la méthode pour parvenir à réaliser son programme lui a manqué, à commencer par la clarté du programme dont l’un des fils conducteurs était la prospérité partagée. C’est ici qu’il convient de s’interroger sur la contribution des cadres Béninois émérites que lui a fournis la Bceao pour accomplir sa mission. Au nombre de près d’une dizaine tous connus pour leurs compétences dans le domaine économique et financiers et placés à des postes pourtant stratégiques, ils n’ont pas pu aider le Chef de l’Etat à satisfaire les Béninois. Mais il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que les cadres peuvent aider à changer très peu de choses dans un pays, si le leadership ne tire pas du bas vers le haut. Et dans le cas du Président Boni Yayi, la propension à tirer les Béninois vers le haut était l’exception, même s’il a glissé en cinq ans d’une vision de conduire le peuple au changement avant de se rendre compte qu’une refondation était nécessaire, une trompette que les mêmes cadres, toujours à ses côtes, n’ont pas hésité à emboucher. Chacun pouvait trouver à boire et à manger dans le régime du Président Yayi, sauf la mise en cause des acquis de la conférence nationale et la sape des principes démocratiques chers au peuple béninois.
La rupture de 2016 et le troublant diagnostic
A la différence de ses prédécesseurs depuis l’avènement du renouveau démocratique, le patron de la rupture a clairement renoué avec une option fondamentale de la conférence nationale, notamment l’économie de marché avec cette importante nuance qu’elle est conçue ici dans une approche de repli sur soi. En d’autres termes, si les Béninois ont élu un Capitaine d’industrie à la tête de leur pays en pensant aux opportunités que cette décision pourrait créer pour l’amélioration de leur vie quotidienne, ils ont plutôt aidé ce dernier à atteindre ses propres objectifs. Deux déclarations du Chef de l’Etat l’atteste, depuis son arrivée à la tête de l’Etat. D’abord quelques semaines après sa prise de fonction, le Président Talon a fait cette déclaration surprenante pour quelqu’un qui venait d’être élu à la tête d’un pays où il censé s’occuper de tout le monde: «moi je pense tout le temps à moi».C’était au cours de la toute première interview accordée au journal en ligne,le monde.fr Ensuite au cours de sa seule visite rendue à la ville et aux populations de Parakou au cours de son mandat, n’a-t-il pas demandé au peuple Béninois de se serrer la ceinture et de se prêter au sacrifice nécessaire à la construction de l’économie nationale ? On connaît la suite.
Mais si sur le plan économique les populations attendent toujours que soit décrétée la fin des sacrifices recommandés par le Chef de l’Etat, c’est surtout à un renversement de la table qu’elles ont assisté s’agissant de leur très chère démocratie. Sous le couvert de la réforme du système partisan promis dans son projet de société et mise en œuvre dans l’exclusion, le régime de la rupture a méthodiquement et unilatéralement détricoté la toile démocratique que les Béninois ont mis plus de 20 ans à tisser, tels des araignées. Oui, ce qui est aujourd’hui convenu d’appeler réforme du système partisan au regard de ce qu’il a généré dans le pays, n’est rien d’autre que le démantèlement de la démocratie autour de laquelle les Béninois organisaient leur festin à échéances régulières pour célébrer dans la joie, la paix et l’allégresse, la démocratie. Au travers d’un diagnostic contestable qui présentait notre pays comme ayant des centaines de partis politiques, situation présentée comme nuisible au développement du pays, on a procédé a des votes de textes liberticides, dans des conditions d’exclusion. Ces prétendues reformes qui ont généré beaucoup de peines au sein des populations ont été conduites au pas de charge avec la complicité des cadres de notre pays, dont certains pourtant d’un niveau intellectuel insoupçonnable, aurait pu contribuer àtempérer les ardeurs rétrogrades du réformateur en chef.
Les libertés contre les routes asphaltées
On cite souvent la réalisation des routes asphaltées comme la référence des prouesses faites par la rupture au profit des Béninois. Nous devons être fiers de ce que les grandes villes de notre pays, notamment la capitale politique et la capitale économique soient agréables à voir. Mais dans le même temps, il est légitime de s’interroger sur l’ordre des priorités dans un pays aussi pauvre que le nôtre. Combien de Béninois auraient-ils opté pour faire de ces réalisations soient la priorité du pouvoir central dans un pays ou les lois sur la décentralisation ont dévolu la construction de certaines de ces infrastructures aux communes. Mais quelle que soit leur beauté, quelle est la valeur des infrastructures pour une population privée de liberté, de participation citoyenne aux décisions qui engagent sa vie comme la révision de la constitution ? Quelle image serait attachée demain à ces infrastructures quand les bâtisseurs auront quitté le pouvoir ? Quel souvenir en garderont les populations ? Quel prix paieront-elles pour rembourser les fonds ainsi investis et dont personne n’appréhende aujourd’hui les coûts ?
Le flou persistant des performances économiques avec un peuple tétanisé
Même s’il ne faut pas encore s’attarder sur les conséquences néfastes de ces réformes, on peut légitimement s’interroger sur ce que le système de la rupture a concrètement apporté au bien-être collectif. Selon les gouvernants, le Bénin se classe premier producteur de coton, produit de rente qui demeure le seul en pôle position avec ses conséquences sur l’environnement et la sante des producteurs. Reste aussi à démontrer l’incidence des statistiques insidieusement distillées par les institutions internationales sur les performances économiques sur la vie quotidienne des Béninois. Pendant que l’assiette fiscale s’alourdit, les fonctionnaires ont-ils déjà connu une augmentation de leurs salaires depuis l’avènement du régime de la rupture ? question ouverte.A côté des statistiques économiques dont seuls les gouvernants peuvent expliquer l’incidence sur le bien-être des populations, il reste à concrétiser les promesses qui ont été faites aux pauvres dames dont les petits commerces ont été déguerpis du bord des routes et qui attendent de prendre place dans les nouveaux marchés en construction.
Le peuple tétanisé par les conséquences de ces réformes conduites dans la violence et le poids des sacrifices attend toujours, pendant que la pandémie à Covid-19 achève de réduire le peu d’espoir qui leur reste à une peau de chagrin. Le Chef de la rupture pourra-t-il être porté en triomphe dans quelques mois ? et par qui ?
L’heure de l’Agenda citoyen ?
Le Bénin a besoin d’une gouvernance qui donne la priorité à la participation citoyenne à la prise de décision qui engage son avenir. Mieux ,les Béninois ont besoin de retrouver la liberté d’expression qui a caractérisé plus de deux décennies de renouveau démocratique. Un pays convivial ou est bannie la peur et ou chacun se sent en mesure de donner son opinion sur la vie politique politique et de voter pour le parti de son choix est encore possible, même des partis politiques de proximité qui aiguisent la conscience politique et contribuent à la formation militante. Ce sont les conditions nécessaires d’une société démocratique où la justice est la même pour tous et où les citoyens sont prêts à répondre de leurs actes devant les juridictions parce que celles-ci lui inspirent confiance. C’est pourquoi, le choix du prochain dirigeant du Bénin doit se jouer par le biais de l’agenda citoyen. Que veulent les Béninois ? et non qu’est-ce que quelqu’un veut pour eux. Si les jeux sont ouverts, tout est possible et le peuple pourra retrouver sa liberté perdue et sa joie de vivre au lieu d’attendre la réalisation d’un hypothétique pari Pascalien. Ce n’est pas un rêve.
Urbain E. Nougbodé
Sociologue planificateur
Whashington Dc
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