Le 06 Avril 2016, le Bénin avait émerveillé l’Afrique et le monde en faisant remplacer Yayi par son meilleur ennemi du moment. Une preuve d’une alternance réussie et d’une vitalité démocratique. Mais quatre ans après, les espoirs d’une élection présidentielle inclusive et d’une alternance à la tête du pays en 2021 sont très faibles. Si le président Talon est pointé du doigt comme le principal auteur de cette démolition de l’édifice démocratique, il est évident qu’il a réussi son projet avec un complice : le Béninois lui-même.
Ange ou diable – selon qu’on l’apprécie ou pas – le président Talon aura eu le mérite de révéler le Bénin autrement que ce qu’on aurait pensé. Il a pu révéler les Béninois à eux-mêmes dans leur paresse, leur manque de conviction, leurs méchancetés et leurs traîtrises. S’il n’a pas révélé le Bénin bon élève de la démocratie et des droits de l’homme, le Bénin havre de paix qu’on connaissait, il nous a permis de découvrir tout le sens et la plénitude du verbe « révéler » tel qu’il l’avait mûri. En effet, le projet de liquidation de la démocratie mis en œuvre de façon sibylline depuis avril 2016 sous le fallacieux prétexte de réformer le système partisan et de moderniser le système politique béninois, apparaît de plus en plus comme un plan goupillé à l’avance et porté discrètement par un petit groupe de proches collaborateurs. Il est en effet impensable que toutes ces options, ces chantiers soient simplement le fruit d’un hasard de gouvernance mais plutôt le résultat d’un travail préalablement pensé et mis en oeuvre avec un esprit machiavélique rarement observé dans la classe politique. Candidat, Patrice Talon avait annoncé faire des réformes politiques pour réduire la forte influence du président de la république sur les autres institutions. Il avait parlé « d’hyper présidentialisme » qu’il entend éradiquer en donnant plus de force aux institutions de contre-pouvoir. A l’arrivée, on le voit faire le contraire de ce qu’il avait annoncé en se donnant plus de pouvoir à travers une nouvelle constitution et en créant, aux termes d’un processus contesté de réforme du système partisan, deux partis politiques pour remplacer les centaines qui essaimaient tout le pays. Dans le même temps, il a, à travers des décisions et actions, renforcé l’hégémonie de son empire financier sur l’économie béninoise.Principal objectif inavouable et inavoué de toute cette entreprise de destruction de l’édifice démocratique. L’hyper présidentialisme tant dénoncé est là avec toutes ses extravagances. Celui qui avait annoncé vouloir être un président modeste, sobre et détaché devient plus qu’un président. Un propriétaire presque. Ceci est une première révélation du président Talon aux Béninois. Il a montré comment faire le contraire de ce qu’on a dit soi même, c’est-à- dire , clignoter à droite et tourner à gauche. Une révélation de la mesquinerie béninoise annoncée 60 ans plus tôt par Emmanuel Mounier, auteur de la fameuse formule répétée comme une incantation nationale:’’le Bénin quartier latin de l’Afrique’’.
Une faillite collective
Il est évident que la descente aux enfers de la démocratie béninoise observée depuis l’arrivée de Patrice Talon au pouvoir est la résultante des nombreux actes attentatoires et des coups portés à l’édifice démocratique. Il est de ce fait, le premier responsable de ce recul à travers ses choix politiques. Mais à l’analyse et lorsqu’on cherche à cerner le problème en profondeur, il est évident qu’il ne pouvait pas réussir cet « exploit » s’il n’avait bénéficié de la complicité, du soutien, pour ainsi dire , de certains de ses compatriotes. Ces soutiens s’appellent acteurs politiques, leaders religieux, magistrats, journalistes, forces de l’ordre…Le dérèglement du système politique béninois n’a été possible que grâce aux lois « démocraticides » et liberticides votées par le parlement légal et légitime dirigé par Me Adrien Houngbédji. Il serait malhonnête d’ignorer la responsabilité du président de l’Assemblée Nationale et des députés de la 7è législature dans cette descente aux enfers. Lorsqu’on a eu le parcours qui a été le sien, procureur de la république à 26 ans, avocat à succès dans les années 70, ancien premier ministre, 2 fois ancien président de l’Assemblée Nationale, on peut avoir le petit courage de dire la vérité au chef, de s’opposer à ses options autoritaires et aux errements politiques. Lorsqu’on est un septuagénaire éclairé et à l’abri du besoin, on peut oser s’indigner, s’opposer aux lois qui instaurent l’exclusion, la discrimination et le déni de la démocratie. Il est évident que la posture de « soutien aveugle » prise par Me Adrien Houngbédji et par ricochet toute la 7è législature a favorisé le vote effréné de lois qui seront utilisées pour organiser les élections législatives exclusives et meurtrières de 2019. Pour se dérober, le chef de l’Etat a, à plusieurs reprises, rejeté le tort sur le parlement qui a voté ces propositions de lois. Comment parler de l’effondrement actuel sans penser à la justice. Les magistrats qui prennent des décisions pour emprisonner sans la moindre preuve, qui condamnent à vingt ans des gens qu’ils n’ont jamais écouté et dont ils empêchent les avocats de d’exprimer, qui poursuivent des députés en dépit de leur immunité parlementaire et qui ordonnent des arrestations parfois saugrenues ne s’appellent pas Patrice Talon. Pourquoi n’ont-ils pas eu le courage de dire le droit ? De dire parfois « non » si tant est qu’ils reçoivent des pressions comme certains le dénonçaient si bien le regretté Marc-Robert Dadaglo, ancien président de l’Unamab ? Que dire des médecins qui établissent des certificats de décès frauduleux en déclarant décédé de mort naturelle des gens sur qui l’armée a tirés ? De l’ imam-député qui s’est fait élire tranquillement député et qui garde toujours son ministère religieux? Des journalistes qui plaquent à la une de leurs tabloïds et en symphonie des articles « prêts à publier » envoyés nuitamment des cellules com et reflétant le contraire de ce que tout le monde sait ? Des pasteurs politiciens qui appellent au second mandat du président Talon ? Que dire de tous ces professionnels qui décident de sacrifier déontologie et principes basiques de leurs métiers ? Talon a-t-il pris possession de leur tête et de leur savoir-faire ? Ne sont-ils pas capables de faire simplement leur métier de manière professionnelle et de résister à la pression ? Les rares professionnels qui ont su résister jusque là dans divers métiers sont-ils tous emprisonnés ou ont-ils tous perdu leurs boulots ? Au-delà des intrigues, des éventuelles tentatives de corruption, il faut avoir le courage de dire que le Président Talon qui profite de la faiblesse des hommes et des institutions, n’a rien « réussi » sans les Béninois. Ces derniers ont pris le risque de porter à la fonction suprême sans aucune réserve, un homme qui n’a eu aucune responsabilité publique autre que celle de chef de ses entreprises. Talon échoue avec les Béninois. C’est une faillite collective.
Soif de vérité et de patriotisme
La première faiblesse des Béninois dont le président Talon a profité c’est le manque de courage pour dire la vérité. Les cadres et l’élite intellectuelle ont le défaut de ne pas oser dire la vérité aux dirigeants de peur d’être mal vu, de perdre leurs postes et les avantages y afférents ou d’être persécutés. La grande majorité ne fait qu’accompagner même s’il voit le chef prendre le mauvais chemin. Il y a ensuite le manque de patriotisme. Le général Mathieu Kérékou, très bon connaisseur des Béninois avait affirmé que les cadres se comportaient comme des étrangers dans leur propre pays. Cela fait que le pays est orphelin de 11 millions de Béninois et ne trouve souvent personne pour le défendre. La défense des intérêts personnels devient le principal mobile des luttes et intrigues politiques, des grèves et des mouvements syndicaux. Il faut courageusement corriger le tir par une éducation à la citoyenneté et au patriotisme en introduisant dans les curricula de formation du primaire à l’université des cours sur l’éthique, le patriotisme et la citoyenneté. Tous les pays comme le Japon, l’Allemagne qui ont réussi dans ce domaine ont choisi cette option. Elle aura eu le mérite de préparer la grande majorité des Béninois aux préceptes de citoyenneté et de patriotisme. Ensuite, il faut réduire les salaires politiques. Ceci aura le mérite de décourager la race des voraces des opportunistes qui entrent en politique pour se servir et de voir émerger celle de ceux qui ont un peu de conviction et veulent servir. La réduction des salaires politiques est aujourd’hui une condition sine qua non d’assainissement de la faune politique et une réforme majeure que les Béninois vont applaudir.
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