« La justice, la bonne foi et la droiture doivent être le fondement de la politique » ( Tite live ). Si cette maxime de l’historien de Padoue inspira Machiavel à écrire ses discours sur les premières décades de la chute de la République de Florence, l’objectif principal visé était la restauration de la République qui était en pleine décadence.
Depuis 2016, cette sagesse politique antique n’a malheureusement pas inspiré nos gouvernants actuels. Nous subissons une inversion des valeurs dans toutes leurs diversités. L’action politique au Bénin, nie toute pensée vertueuse. On assiste impuissant à des alliances intimes incestueuses entre la justice et le politique, entre l’exécutif et les institutions de contre-pouvoir, les chiens aboyant, nos gouvernants passant…
Le 15 avril 2021, alors qu’il rentrait de l’université d’Abomey-calavi d’où il venait de dispenser des cours aux étudiants, Frédéric Joel AIVO a été interpellé en pleine circulation de manière brutale par des agents cagoulés de la Police dite Républicaine ce, sans la moindre convocation préalable .
Nos supers flics, sans doute, rêvaient de l’opportunité de ce casting depuis le « kidnapping » de Rekiath Madougou sur le pont de Porto novo, pour mimer une autre intervention policière à la Jacques Bauer dans la série 24 heures chrono. Mission accomplie et probablement fortement rémunérée.
Le professeur, titulaire, expert près les Nations unies et Candidat redouté puis évincé à la présidentielle d’avril 2021, a d’abord été interrogé par les policiers sur des faits présumés de terrorisme, qualification pénale extrêmement grave. L’opposant politique sera ensuite présenté au Spécial Procureur (l’inverse vaut aussi) près la CRIET qui l’interrogera sur des prétendus faits de blanchiment de capitaux et d’atteinte à la sûreté de l’état. On connait la suite.
Ainsi d’une étape à l’autre de l’enquête pénale, on change de qualification des faits, ce qui place la défense dans une insécurité juridique scandaleuse…. Il s’agit là d’une grave anomalie procédurale dont la pratique rappelle les années de dictature marxiste-léniniste que nous avons connue et subie durant 17 longues années. Ma modeste expérience de juriste praticien, m’a appris que de telles pratiques ont l’avantage de fragiliser les poursuites en ce qu’elles violent les droits de la défense, notamment le droit à un procès équitable.
Mais hélas… Ce n’est pas la seule incongruité de ce dossier politique grossièrement maquillé en tragédie judiciaire … En effet, le dossier pénal semble avoir été engagé selon une procédure dite de flagrance, à la grande stupéfaction de son avocat Me Robert Dossou.
Il est constant pour tout bon étudiant de deuxième année de droit , que le flagrant délit se dit de l’infraction qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. En d’autres termes, le flagrant délit met souvent en cause une personne qui est prise sur le fait au moment de son infraction ou immédiatement après et en possession d’indices laissant supposer sa participation à cette infraction.
Autrement dit, lors de la présentation du Professeur AÏVO, les faits reprochés devraient avoir été connus, précis, identifiés et étayés par des indices ou des éléments de preuves. A ce jour, manifestement il semble en être autrement au Bénin. Le ministre de la justice (Avocat de son état ), a d’ailleurs confirmé ces dérives judiciaires en affirmant que l’on privait d’abord les citoyens de leur liberté avant de réunir des preuves de ce qui peut leur être reproché .
On est en plein délire là
L’état voyou, dénoncé en 2015-2016 est devenu un état délinquant qui viole ses propres textes et refuse d’exécuter les décisions de justice. Peut-on admettre, en étant honnête, que dans une procédure de flagrant délit, il soit besoin de programmer une audience au 15 juillet 2021, soit 4 mois après l’interpellation du citoyen mis en cause ?
Peut-on croire encore en la transparence d’une enquête judiciaire et en l’indépendance des juges d’une suspicieuse CRIET, lorsque le Chef de l’État, a presque présenté les chefs d’accusation contre le Professeur AÏVO lors de son interview accordée aux médias étrangers RFI et France 24 ? Patrice Talon n’a-t-il pas déjà jugé son opposant aux yeux de l’opinion publique ?
Notre procédure pénale n’a-t-elle pas prévu des mesures restrictives, et non privatives, de libertés, pour les citoyens sur qui ne pèsent que des soupçons, au demeurant peu sérieux, tout en leur laissant la liberté de vaquer à leurs occupations jusqu’au jour du procès ?
Au fond, que reproche-t-on à l’universitaire opposant? Selon Patrice Talon, il est reproché à Joël Frédéric Aïvo d’avoir osé déclarer que la « mascarade électorale » du 11 avril 2021 n’aurait pas lieu sans l’opposition et d’avoir prétendument œuvré pour empêcher sa tenue.
Le problème est que les propos invoqués ont été tenus lors d’une conférence publique à Porto Novo le 16 février 2021, et ont été abondamment relayés sur les réseaux sociaux et dans la presse. Si de telles déclarations avaient été constitutives de flagrant délit , la poursuite aurait dû être initiée immédiatement après ladite conférence….
De même, le simple fait que l’élection se soit tenue le 11 avril 2021 suffit à disqualifier les poursuites pénales engagées contre Joël Frédéric Aïvo pour un prétendu flagrant délit. Pour me convaincre de la vacuité du dossier pénal et de la réelle vocation politique de cette cabale, j’ai relu et réécouté toutes les déclarations de FJA et je n’y ai vu aucune allusion ni invitation à une manifestation populaire encore moins à un soulèvement.
Quand il a déclaré « Le peuple béninois va défendre son droit », il appelait les citoyens à rester forts et dignes en ne prêtant pas le flanc à une « parodie électorale » qui excluait leurs opinions dans le choix des dirigeants. Nous savons tous que l’incarcération de Joël Frédéric AÏVO est éminemment politique.
Il est manifeste que ce qui est reproché à Joël Frédéric AÏVO relève du crime de lèse-majesté, lui qui a convoqué en duel Patrice Talon, lui demandant de descendre dans la lagune pour affronter la sanction populaire. Ce qui vaut à ce brillant homme d’être détenu arbitrairement depuis un mois désormais est d’avoir osé se dresser face au pouvoir et d’incarner l’alternative la plus forte face à un pouvoir désavoué par son peuple.
J’ai le cœur qui saigne quand je vois le nombre de jeunes emprisonnés non pour avoir volé l’argent public à l’instar de nombreux soutiens et membres du régime dit de la rupture, épinglés et amicalement relâchés, mais pour avoir parlé ou dénoncé un système qui les condamne au chômage. Joël Frédéric AÏVO vient de subir un mois de détention arbitraire sur fond de persécutions politiques.
Comme Reckya Madougou, Alexandre Hountondji, Joseph Tamegnon et 400 ou 500 autres citoyens anonymes, il est incontestablement un prisonnier politique. Cette détention est arbitraire. Tous les prisonniers politiques doivent être libérés immédiatement. La liberté doit devenir la règle et la privation l’exception.
Libérez Joë Frédéric Aïvo
LIBEREZ TOUS LES PRISONNIERS POLITIQUES
#FatiouOUSMANù
Par Fatiou Ousmane
Avocat au barreau de Dijon
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