Depuis une dizaine d’années, le nombre de milliardaires africains ne cesse de croître. Ils sont issus de la finance, de l’agriculture, du commerce ou des télécoms, et incarnent une génération d’entrepreneurs qui redessinent le rapport de l’Afrique à l’économie mondiale. Ces fortunes émergentes — souvent autodidactes, parfois formées à l’étranger — contribuent à déplacer le centre de gravité des décisions économiques. Mohammed Dewji, industriel tanzanien à la tête du groupe MeTL, fait partie de cette élite. Son parcours personnel et ses prises de position publiques en font un exemple singulier d’engagement économique et social. Il plaide pour un continent tourné vers l’investissement productif, tout en appelant à une révision profonde des relations avec les puissances occidentales.
Dans un entretien accordé à RFI, Mohammed Dewji affirme que l’Afrique doit se défaire de sa dépendance à l’aide internationale. À ses yeux, le temps est venu de rompre avec la logique de l’assistanat, pour attirer des capitaux orientés vers des projets à fort impact. Il estime que seule l’économie de marché et la création de valeur permettront aux pays africains d’atteindre l’autonomie. Son propre parcours illustre cette dynamique : après des études en commerce international à Georgetown, il a transformé une entreprise familiale modeste en un conglomérat continental actif dans neuf pays africains.
Contrairement aux craintes de certains observateurs, il ne voit pas dans la montée en puissance de groupes comme MeTL un danger pour les petites entreprises. Au contraire, il affirme que ces grands ensembles créent un tissu économique en attirant fournisseurs, sous-traitants et distributeurs locaux. Pour lui, le capitalisme africain a vocation à être inclusif et générateur d’opportunités, à condition de s’adosser à un écosystème de partenaires locaux.
Un développement par l’entreprise, pas par la dépendance
Dans sa vision géoéconomique, Dewji s’inquiète peu du protectionnisme croissant à l’échelle mondiale. Il y voit une contrainte pour les puissances installées, mais une opportunité pour l’Afrique, qui reste sous-industrialisée. Il reproche à certains pays européens, notamment la France, d’avoir trop longtemps limité leur présence à l’Afrique de l’Ouest, négligeant le potentiel économique de la partie orientale du continent. Il rappelle que la Tanzanie, l’un des moteurs de cette région, affiche une stabilité politique appréciable et une croissance soutenue autour de 5 %, dans un marché commun de plus de 300 millions d’habitants.
Ce déséquilibre de présence est, selon lui, un manque stratégique. L’Afrique de l’Est présente un potentiel d’investissement considérable dans des domaines comme l’agriculture, l’hôtellerie, les mines ou les infrastructures. Le fait que les sièges de certaines entreprises africaines soient basés à Dubaï traduit à la fois une volonté d’ouverture vers l’Asie et une réponse à l’absence d’initiatives ambitieuses de la part des capitales européennes.
Investir dans les hommes autant que dans les structures
Au-delà du discours entrepreneurial, Mohammed Dewji accorde une place centrale à la philanthropie. Sa fondation, active depuis plus d’une décennie, finance des bourses d’études, soutient les hôpitaux et participe à des campagnes de vaccination et de traitement pour des maladies infantiles. Il a rejoint le Giving Pledge, s’engageant à reverser la moitié de sa fortune à des œuvres sociales, quitte à léguer moins à ses enfants. Pour lui, il ne s’agit pas simplement de redistribuer une richesse acquise, mais de contribuer à réduire les inégalités structurelles qui freinent l’accès à l’éducation et à la santé.
Ce choix n’est pas déconnecté de sa vision du développement. Dewji insiste sur le fait que l’Afrique peut devenir une puissance agricole, à condition d’investir massivement dans l’aménagement foncier et les technologies agricoles. Il cite ses propres projets, nécessitant des centaines de millions de dollars, pour démontrer que les capacités sont là : terres, main-d’œuvre, climat. Ce qui manque, selon lui, c’est la combinaison entre financement patient et accompagnement technologique.
Enfin, il voit dans les révolutions numériques une chance pour la jeunesse africaine. L’Afrique, dit-il, n’a pas connu le même parcours technologique que les pays du Nord : elle est passée du quasi-silence numérique à une explosion du mobile. Il imagine un schéma similaire avec l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies, pourvu que les États règlent les problèmes de connectivité et de formation. À ses yeux, il ne s’agit pas de copier un modèle étranger, mais d’en créer un adapté à la réalité du continent.
En quittant la politique en 2015, Dewji a fait le choix de se concentrer sur le secteur privé et la philanthropie. Il n’y voit pas une abdication du rôle citoyen, mais une manière différente de peser sur l’avenir. Pour lui, l’Afrique de demain dépendra autant de ses entrepreneurs que de ses institutions. Il appelle donc à une alliance entre le monde des affaires et les responsables publics, avec pour priorité la création d’emplois et la souveraineté économique.
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