Deux grands projets de gazoducs traversent aujourd’hui le Maghreb et cristallisent des ambitions énergétiques opposées. D’un côté, le gazoduc transsaharien (TSGP), soutenu par l’Algérie, vise à relier le Nigéria à l’Europe via le Niger et le territoire algérien. De l’autre, le projet Nigeria-Maroc, aussi appelé « Atlas », avance sous l’impulsion de Rabat et prévoit un tracé longeant la côte atlantique, desservant treize pays sur plus de 7 000 kilomètres. Ces deux initiatives se disputent la place de principal corridor gazier africain, chacun incarnant une stratégie géopolitique distincte.
Le projet algérien, ancien de plusieurs décennies, repose sur l’expérience du pays en matière d’exportation de gaz et sur une infrastructure en grande partie déjà existante. Mais les défis sécuritaires au Sahel et le manque de clarté sur le financement ont ralenti sa mise en œuvre. Face à cela, le Maroc a su tisser une narration ambitieuse autour de son alternative, intégrant développement régional et coopération interafricaine. Le gaz, dans cette configuration, ne se limite plus à une source d’énergie, mais devient un levier d’intégration économique.
Une infrastructure conçue comme moteur de transformation
Porté par la ministre marocaine de la Transition énergétique, Leila Benali, le projet Atlas est présenté comme un catalyseur du développement industriel et électrique en Afrique de l’Ouest dans une interview accordée au magazine Le360. Il ne s’agirait pas seulement de transporter du gaz vers l’Europe, mais aussi de créer une plateforme énergétique continentale au service des populations locales. L’argument avancé est clair : sans accès à une énergie abondante, compétitive et fiable, les industries africaines ne peuvent se développer et les ambitions de croissance resteront théoriques.
À travers ce mégaprojet estimé à 25 milliards de dollars, le Maroc entend offrir une solution concrète à un paradoxe continental : des ressources énergétiques abondantes côtoient des zones toujours dépourvues d’électricité stable. Le gazoduc est ainsi pensé pour alimenter directement les installations industrielles et les réseaux électriques nationaux des pays traversés, tout en assurant un débouché stratégique vers l’Atlantique pour les États sahéliens enclavés. L’objectif est d’en faire un vecteur d’unité économique et de désenclavement à l’échelle régionale.
Derrière les tuyaux, une vision d’influence et de stabilité
Au-delà de l’argument énergétique, Rabat défend une lecture géopolitique du projet. Le gazoduc est conçu comme un axe structurant entre l’Afrique, l’Europe et le bassin atlantique, visant à remodeler les routes de coopération entre le Sud et le Nord. Pour Leila Benali, l’Afrique représente une capacité productive encore inexploitée. En connectant cette région à des marchés plus larges par un corridor énergétique stable, le projet Atlas serait en mesure de redessiner les flux de valeur et de participation économique à l’échelle continentale.
Cette ambition contraste avec une approche plus traditionnelle du côté algérien, centrée sur l’exportation brute de ressources vers l’Europe. En impliquant les pays riverains comme acteurs à part entière et non simples territoires de transit, le Maroc espère ainsi renforcer son positionnement stratégique tout en cultivant une image de partenaire de développement régional.
Si les discours officiels évoquent l’unité africaine, la rivalité entre les deux projets traduit des tensions plus anciennes. Le choix des partenaires, le rythme des études d’impact, l’intérêt des investisseurs internationaux : autant d’éléments qui décideront de la trajectoire gagnante dans cette course au gaz maghrébine. Mais au-delà de la compétition, c’est bien la question de l’autonomie énergétique du continent qui se joue à travers ces kilomètres de conduites enfouies sous terre.
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