Depuis plusieurs années, deux projets majeurs de gazoducs alimentent la rivalité stratégique entre le Maroc et l’Algérie, chacun visant à devenir un pilier de la distribution énergétique africaine vers l’Europe. Le premier, porté par Rabat, prévoit une connexion offshore entre le Nigeria et le Maroc, longeant l’Atlantique et intégrant une quinzaine de pays. Le second, soutenu par Alger, s’appuie sur un tracé transsaharien plus direct, traversant le Niger pour relier le Nigeria à l’Algérie. Derrière ces ambitions énergétiques se joue un affrontement diplomatique et économique à l’échelle continentale, renforcé par les tensions persistantes entre les deux capitales maghrébines depuis la rupture de leurs relations en 2021.
Le projet transsaharien en zone de turbulence
L’Algérie mise depuis longtemps sur son partenariat gazier avec le Nigeria pour renforcer sa position de fournisseur de référence en Europe. Le tracé transsaharien, en ligne droite depuis le sud nigérian jusqu’au nord algérien, devait représenter un corridor stratégique et sécurisé. Or, les dynamiques régionales récentes ont fragilisé cette ambition. Le Mali, autrefois allié de circonstance dans la sécurisation de la région, a rompu avec Alger, dénonçant des interférences dans ses affaires intérieures. Cet épisode a eu un effet domino, entraînant la suspension d’instances de coopération militaire et le gel des relations avec les alliés du Mali au sein de l’Alliance des États du Sahel, dont le Niger fait partie.
Dans ce contexte tendu, des incertitudes planent sur la pérennité de l’axe Alger-Niamey. Le silence de Niamey face aux rumeurs de retrait du projet alimente les doutes. L’éventuelle désaffection du Niger remettrait en cause la viabilité même du gazoduc transsaharien, qui repose sur la stabilité des pays traversés. Malgré l’expérience de l’Algérie dans l’exportation gazière, l’équation géopolitique actuelle complique ses perspectives d’extension vers l’Afrique subsaharienne.
Le Maroc renforce son ancrage ouest-africain
En parallèle, le Maroc avance ses pions avec méthode. Le projet Nigeria-Maroc, qui contourne les zones de tension sahéliennes par un itinéraire côtier, s’affirme comme une alternative plus longue mais politiquement plus stable. Le royaume entend intégrer les pays ouest-africains au parcours du gaz, en leur offrant une ouverture vers les marchés atlantiques. Ce volet d’intégration régionale constitue un argument clé dans la communication marocaine, d’autant que plusieurs États ont déjà validé un accord intergouvernemental.
Leila Benali, ministre de la Transition énergétique, affirme que le tracé a été arrêté et que les études préparatoires sont en grande partie terminées. L’objectif est d’obtenir une décision d’investissement avant la fin de l’année, condition indispensable au lancement des travaux. L’ampleur du chantier reste toutefois un obstacle : estimé à 25 milliards de dollars, ce gazoduc nécessitera une mobilisation de fonds sur plusieurs années. Le Maroc compte sur le soutien de ses partenaires internationaux pour franchir ce cap.
Une rivalité énergétique aux contours politiques
Au-delà des aspects techniques, ce duel de projets illustre deux stratégies d’influence opposées. L’Algérie capitalise sur sa position de fournisseur traditionnel et sur une infrastructure en partie déjà opérationnelle. Le Maroc, en revanche, joue la carte du long terme et du maillage régional, en cherchant à se positionner comme un trait d’union entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe.
Mais le rapport de force pourrait évoluer rapidement selon les alliances politiques et les dynamiques internes des pays de transit. La recomposition diplomatique au Sahel, où les anciens partenaires d’Alger se rapprochent de Rabat ou renforcent leur propre autonomie, pourrait peser sur les décisions futures. Si le Maroc parvient à sécuriser ses engagements financiers, son projet pourrait finir par supplanter celui de son voisin, non par sa rapidité d’exécution, mais par sa capacité à rassembler un réseau d’États autour d’un même objectif énergétique.
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