La Haute Cour de justice continue son marathon d’auditions. Après Ndèye Saly Diop Dieng, ancienne ministre de la Femme sous Macky Sall, entendue ce lundi pour sa gestion des fonds Covid-19 et qui a dû consigner 57 millions pour éviter la détention, c’est au tour d’un autre visage bien connu de l’ancien régime de faire face aux juges. Ce mardi, Ismaïla Madior Fall, ex-garde des Sceaux et figure influente du gouvernement précédent, doit répondre de faits lourds de conséquences. Contrairement à son ex-collègue qui a tenté de négocier sa liberté contre caution, l’ancien ministre de la Justice arrive à la barre dans une atmosphère alourdie par la mise sous mandat de dépôt de deux protagonistes clés du dossier.
L’affaire en question porte sur un contrat public sensible : la construction d’un Centre de surveillance électronique sur le site du tribunal de Pikine-Guédiawaye. Ce projet, censé moderniser le système judiciaire, est aujourd’hui au cœur d’un scandale mêlant corruption passive et concussion. Déjà, le promoteur immobilier Cheikh Guèye, directeur de la société TCS, ainsi que Mohamed Anas El Bachir Wane, ancien haut fonctionnaire du ministère de la Justice, ont été placés en détention préventive. Ces premières incarcérations donnent un ton grave à l’audition d’Ismaïla Madior Fall, d’autant que les soupçons visent des faits liés directement à ses anciennes fonctions.
Une justice qui remonte la chaîne de décision
Le juge du 2e cabinet du Tribunal de grande instance hors classe de Pikine-Guédiawaye est chargé de cette affaire, qui pourrait faire date. Si le promoteur privé et le responsable administratif ont été écroués, cela laisse entendre que la procédure avance par cercles successifs, remontant vers ceux qui détenaient l’autorité de signature et les leviers politiques. L’audition de l’ancien ministre n’est donc pas un simple formalisme judiciaire ; elle pourrait annoncer des rebondissements majeurs, dans une séquence où la justice semble décidée à ne pas faire de distinction entre responsabilités techniques et politiques.
Dans ce contexte, l’argument de la présomption d’innocence est évidemment posé sur la table, mais il doit composer avec une opinion publique de plus en plus attentive aux signaux envoyés par les nouvelles autorités. Les premières mesures coercitives prises à l’encontre de collaborateurs de l’ancien régime, y compris de hauts responsables, ont instauré un climat où la comparution d’un ancien ministre de la Justice ne peut qu’avoir une portée symbolique. Il fut, en d’autres temps, l’un des garants de l’intégrité du système judiciaire. Aujourd’hui, il s’y présente comme prévenu.
La doctrine Pastef à l’épreuve de la réalité judiciaire
Le déroulement de cette affaire tombe à un moment stratégique pour le pouvoir actuel. Le projet de reddition des comptes, porté de longue date par le parti Pastef, prend ici une tournure très concrète. Loin des promesses de campagne, c’est désormais à la barre que se joue la crédibilité de cette promesse politique. Chaque dossier traité, chaque personnalité convoquée, chaque décision de justice rendue est désormais scrutée comme un test de cohérence entre les engagements assumés et leur mise en œuvre effective.
Dans cette optique, l’audition d’un ancien garde des Sceaux ne représente pas seulement une étape judiciaire. Elle devient une mise à l’épreuve de la nouvelle gouvernance : jusqu’où ira-t-elle ? Qui sera épargné, qui sera inquiété ? Et surtout, la justice pourra-t-elle opérer sans pression, ni manipulation, dans un climat où les attentes populaires sont à la fois immenses et impitoyables ? Pour Ismaïla Madior Fall, la journée de ce mardi s’annonce donc comme un tournant. Pour le Sénégal, elle pourrait aussi marquer l’entrée dans une nouvelle ère de responsabilité politique.
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