Elle a traversé les frontières comme un virus silencieux. Originaire de Sierra Leone, la kush, drogue de synthèse mortelle, a peu à peu étendu son emprise sur l’Afrique de l’Ouest. Le Sénégal n’échappe pas à cette contamination insidieuse, et certains quartiers de Dakar en deviennent les théâtres les plus alarmants. À Colobane, par exemple, on peut apercevoir au détour d’un arrêt de bus des silhouettes amaigries, incapables de tenir debout. La kush transforme réellement ses consommateurs en ombres d’eux-mêmes.
La drogue, souvent présentée sous forme de petits sachets d’herbe verte ou de képas, circule de main en main à une vitesse qui défie les efforts des autorités. Hier, 14 mai, une opération de la Brigade de Recherche a permis de surprendre plusieurs individus en pleine consommation. La fouille des lieux a révélé soixante-cinq sachets prêts à être écoulés et soixante-dix képas supplémentaires. Cette découverte n’est qu’un épisode parmi d’autres dans une série d’interventions devenues de plus en plus fréquentes. Les saisies sont désormais hebdomadaires, selon un officier de l’OCRTIS, signe que le phénomène ne fait que prendre de l’ampleur.
Un fléau qui se nourrit de précarité et de vide existentiel
Ce n’est pas un hasard si la kush trouve un terreau fertile parmi les jeunes. Là où le chômage, la déscolarisation ou l’abandon familial creusent des abîmes, cette drogue vient combler un vide, à sa manière perverse. Elle promet l’oubli, la déconnexion, l’évasion — pour quelques heures seulement. Puis elle laisse place à l’addiction, à la désintégration physique, à la marginalisation. Les témoignages recueillis dans certains quartiers font état de jeunes qui, en quelques mois, ont perdu toute autonomie, devenant incapables de tenir une conversation ou même de marcher sans tituber. Ce sont des corps présents mais des esprits absents, piégés dans un brouillard toxique.
Les dealers, eux, ne manquent pas d’audace. L’un d’eux, interrogé sans détour, assume même que le produit « marche bien ». Autrement dit : la demande est là, les clients ne manquent pas. Il faut dire que la kush est bon marché, facile à produire et difficile à tracer dans ses composantes exactes, car souvent mélangée à d’autres substances chimiques inconnues. Elle attire ceux qui cherchent un dérivatif rapide, sans mesurer le coût réel sur leur santé mentale et physique.
Les réponses urgentes attendues de toutes parts
Face à cette menace qui se propage comme une traînée de poudre, les autorités intensifient les actions. Saisies, perquisitions, arrestations : le volet répressif est bien en marche. Mais la solution ne peut pas reposer uniquement sur la traque et la confiscation. Il faut aussi interroger les causes profondes : pourquoi autant de jeunes sombrent-ils dans la consommation de kush ? Quelle place leur est laissée dans la société ? Quels outils existent pour prévenir plutôt que simplement punir ?
Les parents, les écoles, les associations de quartier, les services de santé mentale doivent pouvoir agir ensemble. L’État est interpellé pour proposer, de toute urgence, des politiques publiques qui englobent prévention, accompagnement psychologique, réinsertion sociale. Car chaque sachet saisi ne fait que repousser un peu plus l’inévitable si rien n’est fait pour couper la racine du mal.
La kush n’est pas simplement une drogue de plus. Elle est le symptôme d’un effondrement silencieux, qui touche à la fois la jeunesse et les repères collectifs.
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