L’histoire contemporaine du Maghreb est jalonnée de tentatives d’ancrage stratégique en Afrique subsaharienne. Pendant plusieurs décennies, des pays comme la Libye de Mouammar Kadhafi ont multiplié les investissements politiques, militaires et économiques dans la région. Kadhafi ne se contentait pas de discours panafricanistes ; il finançait des infrastructures, soutenait des mouvements politiques et imaginait une union monétaire africaine. Ces efforts répondaient à une logique d’influence, mais aussi à une volonté d’intégrer les pays sahéliens dans un système régional arrimé à l’Afrique du Nord. Ce modèle, très centré sur le leadership individuel et souvent peu structuré à long terme, n’a cependant pas survécu à la disparition de ses initiateurs. Aujourd’hui, un autre acteur maghrébin reprend ce flambeau d’une manière radicalement différente : le Maroc, avec un projet structurant et multi-sectoriel qui redéfinit les connexions africaines.
Le Maroc mise sur l’Atlantique comme levier stratégique
Au cœur de cette dynamique se trouve le Maroc, qui affiche une stratégie claire pour renforcer son rôle sur le continent : mettre l’océan Atlantique au service de l’intégration régionale. Le royaume déploie une vision fondée sur la connectivité, la logistique et l’énergie, avec un projet ambitieux porté par le roi Mohammed VI : l’Initiative Atlantique. Ce plan s’appuie notamment sur deux infrastructures clés : le port de Tanger Med, aujourd’hui considéré comme un point névralgique du commerce maritime en Afrique, et le futur port de Dakhla Atlantique, conçu comme une nouvelle porte vers l’Afrique de l’Ouest.
Mais le pari marocain ne se limite pas aux côtes. Il entend faire de ces plateformes portuaires des relais au service de pays sans accès à la mer comme le Mali, le Niger ou le Tchad. L’idée est de transformer l’isolement géographique de ces nations en une opportunité, en leur offrant une ouverture stable vers les marchés internationaux via l’Atlantique. Ces corridors logistiques s’accompagneront d’accords bilatéraux, de projets énergétiques et d’une coopération renforcée dans le domaine de la sécurité maritime.
Une vision structurée pour une Afrique interconnectée
Ce projet dépasse le simple cadre commercial. Il repose sur l’exploitation raisonnée des ressources naturelles abondantes le long de la côte ouest-africaine : gaz, minerais, surfaces agricoles, énergies renouvelables. En reliant ces richesses à des réseaux de transport modernes, le Maroc espère créer une dynamique de co-développement. Plutôt que d’extraire des ressources pour l’exportation brute, il s’agit de construire des chaînes de valeur ancrées localement, capables de générer des emplois et de la stabilité.
Le royaume mise également sur la complémentarité entre les pays. Loin d’imposer une hégémonie économique, il cherche à bâtir une coopération basée sur des intérêts partagés et des mécanismes de codécision. Cela suppose des investissements dans la formation, des transferts de technologie, mais aussi une diplomatie active capable d’harmoniser les objectifs entre États aux réalités très différentes.
Une nouvelle carte des échanges africains
En mettant l’Atlantique au centre de cette dynamique, le Maroc propose un recentrage du développement africain vers l’ouest du continent. Là où les flux traditionnels se concentraient vers le nord ou l’est, cette nouvelle approche ouvre la voie à des échanges transversaux plus équilibrés. C’est aussi une manière de contourner certaines contraintes liées aux anciennes routes coloniales ou aux infrastructures vétustes encore dominantes dans de nombreux pays.
Le pari est ambitieux et les obstacles nombreux : alignement politique, financements, stabilité régionale. Mais en plaçant des outils concrets au cœur de sa stratégie — ports, routes, énergie, sécurité —, le Maroc se donne les moyens de transformer une vision en réalité. Dans cette nouvelle géographie des flux, le royaume se positionne comme un catalyseur d’un développement africain qui ne dépend plus uniquement des marchés extérieurs, mais qui se construit depuis le continent lui-même.
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