Smartphones : la Chine prépare un coup de massue à la domination américaine

Photo d'illustration (unsplash)

Pendant plus d’une décennie, deux géants ont verrouillé les portes de l’univers mobile : Android de Google et iOS d’Apple. Après l’effondrement de Nokia et la fin de Symbian, le marché s’est rapidement concentré autour de ces deux plateformes. Leurs écosystèmes sont devenus si omniprésents que tenter d’imaginer un troisième acteur crédible relevait presque du fantasme. Chaque tentative — de BlackBerry à Firefox OS — s’est brisée sur le mur de la puissance combinée des applications, de la distribution et de l’hégémonie technologique américaine. Android, fort de sa gratuité et de ses partenariats industriels, a raflé la quasi-totalité du marché mondial hors iPhone, tandis qu’iOS, avec sa clientèle premium, a capté l’essentiel des profits. Le duopole semblait indéboulonnable.

La Chine veut reprendre la main

Mais la tectonique numérique est en train de bouger. Sous la pression de sanctions imposées par les États-Unis, les géants chinois ont dû revoir leurs plans. Huawei, qui fut un temps le deuxième vendeur mondial de smartphones, a été privé des services Google, cœur stratégique de l’expérience Android hors de Chine. Loin de s’effondrer, le groupe a choisi de réagir par l’innovation défensive : créer HarmonyOS, un système d’exploitation entièrement conçu pour réduire la dépendance à l’écosystème américain. Désormais, Huawei affirme pouvoir se passer totalement d’Android, même dans ses versions open source.

Publicité

Ce tournant n’est plus isolé. Xiaomi, autre pilier du marché mondial, a lancé HyperOS, une interface de plus en plus ambitieuse qui s’éloigne graduellement d’Android tel que Google l’a pensé. Et surtout, le conglomérat BBK, mastodonte qui abrite les marques Vivo, Oppo, OnePlus et Realme, semble prêt à suivre cette voie. Le projet : construire un système mobile qui ne repose ni sur les services de Google, ni sur des brevets américains.

Une architecture numérique souveraine

Ce mouvement n’est pas simplement une réponse tactique aux sanctions. Il s’agit d’une véritable offensive stratégique : édifier une souveraineté technologique sur un terrain jusque-là dominé par les États-Unis. Créer un OS mobile, ce n’est pas seulement coder une interface. C’est redessiner toute une chaîne logicielle : du noyau du système jusqu’aux bibliothèques de développement, en passant par les services cloud, les app stores et les interfaces de paiement. Un chantier colossal, comparable à la construction d’un nouvel Internet à l’intérieur du réseau global.

En construisant leurs propres plateformes, les industriels chinois cherchent à contrôler les règles du jeu. Ils veulent non seulement réduire leur exposition géopolitique, mais aussi éviter les coûts de licence sur les technologies américaines. À terme, cela pourrait redonner une marge de manœuvre décisive aux fabricants pour innover à leur rythme, libérés de l’agenda de Google ou des contraintes d’Apple.

Un nouvel ordre en gestation

Il ne s’agit pas uniquement d’une querelle commerciale entre puissances. Ce qui se dessine, c’est une bifurcation du numérique mondial. Si ces nouveaux systèmes d’exploitation gagnent en maturité, l’industrie pourrait se retrouver face à un paysage à trois pôles : iOS, Android et un OS chinois unifié ou interopérable. Pour les développeurs d’applications, les annonceurs, les services en ligne, cela signifierait repenser les stratégies de compatibilité et de distribution. Pour les utilisateurs, cela pourrait offrir une alternative concrète, notamment sur les marchés émergents, où le rapport qualité-prix des constructeurs chinois est déjà dominant.

Publicité

Certes, la route est encore longue. Les habitudes d’usage sont enracinées, les App Stores d’Apple et de Google concentrent des millions d’applications, et la fidélité des consommateurs reste forte. Mais l’histoire des technologies est faite de ruptures imprévues. La Chine a montré qu’elle pouvait rattraper un retard en quelques années dans des secteurs jugés hors d’atteinte — de la 5G à l’intelligence artificielle. Si elle parvient à faire de même avec les systèmes d’exploitation mobiles, alors la domination américaine pourrait bien vaciller.

Les cartes sont en train d’être rebattues. Ce qui s’annonçait comme une simple revanche de Huawei pourrait se transformer en un basculement plus large, capable de redéfinir la manière dont le monde utilise, conçoit et contrôle ses smartphones.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité