Le manque d’eau est devenu un frein majeur au développement agricole dans les pays du Maghreb. Si la région a toujours dû composer avec un climat sec, l’écart entre les besoins en eau et les ressources disponibles s’est nettement creusé au fil des années. Les précipitations irrégulières, les longues périodes sans pluie, l’augmentation des températures et la faible capacité de stockage affaiblissent progressivement les systèmes hydriques. Le rechargement des nappes souterraines ne suit plus le rythme des prélèvements, surtout dans les zones à vocation agricole. Résultat : les marges d’action se réduisent et les projets de mise en valeur des terres agricoles sont de plus en plus contraints par les limites physiques des ressources en eau.
Face à cette pression croissante, le Maroc vient de prendre une mesure radicale dans la province de Ouarzazate : interdire toute nouvelle autorisation de forage sur certaines terres destinées à l’agriculture. Une décision révélatrice d’un tournant où le manque d’eau ne ralentit plus seulement les projets — il les stoppe net.
Forages interdits : quand l’eau manque, les projets s’enlisent
Dans la province de Ouarzazate, l’Agence du bassin hydraulique de Drâa-Oued Noun, sur instruction du ministère de l’Équipement et de l’Eau, a suspendu l’octroi de toute nouvelle autorisation de forage sur les terres collectives destinées à l’agriculture. Cette décision, rendue publique dans une réponse écrite du gouvernement à une question du groupe Haraki au Parlement, intervient alors que la région enregistre une chute brutale de ses ressources hydriques.
Les chiffres sont révélateurs : la campagne 2023-2024 a accusé un déficit pluviométrique de 85 %, et la tendance restait encore négative fin mars 2025, avec une baisse estimée à 9 %. Résultat, les volumes d’eau disponibles ont reculé de 46 %, et les nappes phréatiques s’effondrent. Dans ces conditions, autoriser de nouveaux forages reviendrait à accélérer une pénurie déjà hors de contrôle. Les autorités ont donc tranché : mieux vaut préserver ce qui reste que risquer une rupture totale.
Des précipitations trop faibles pour inverser la tendance
Certes, quelques pluies sont tombées au début de la saison agricole 2024-2025. Mais elles ont eu un effet limité, loin de permettre une véritable recharge des nappes. Le volume pompé continue de dépasser largement celui des apports naturels. Le déséquilibre entre consommation et régénération s’aggrave, mettant en péril les exploitations existantes et réduisant à néant les ambitions d’installation de nouveaux investisseurs agricoles.
À cela s’ajoute un autre facteur déterminant : la fonte des neiges dans le Haut Atlas, qui jouait un rôle crucial dans la régénération des nappes du bassin du Haut Drâa, est elle aussi en recul. Avec moins de neige, les infiltrations naturelles diminuent, et les réserves ne parviennent plus à se stabiliser. Ce phénomène, bien connu des hydrologues, réduit encore davantage la marge de manœuvre des autorités locales.
Une réalité qui dépasse le cadre local
Le blocage des projets agricoles à Ouarzazate n’est pas un cas isolé. Il reflète un bouleversement plus large qui touche l’ensemble des pays maghrébins. En Tunisie, en Algérie, au Maroc, les agriculteurs sont confrontés à la même réalité : sans eau, il est impossible d’étendre les superficies cultivées ou d’initier de nouveaux projets. Ce constat remet en cause les modèles de croissance fondés sur l’exploitation intensive des ressources naturelles.
Derrière la décision marocaine se dessine une prise de conscience : poursuivre l’expansion agricole dans un contexte de pénurie chronique, c’est prendre le risque d’un effondrement généralisé. Il devient donc urgent de repenser les priorités : miser sur des cultures moins gourmandes en eau, moderniser les systèmes d’irrigation, encourager la gestion collective et durable des nappes.
À l’heure où le climat rend l’eau plus rare et plus incertaine, les projets agricoles ne peuvent plus ignorer cette contrainte fondamentale. Le Maghreb n’est plus simplement confronté à un stress hydrique ; il est désormais confronté à un verrou hydrique. Et ce verrou, tant qu’il ne sera pas levé par des politiques courageuses et adaptées, continuera de bloquer les projets, quel que soit leur potentiel.
Laisser un commentaire