Depuis le retour des tensions géopolitiques majeures et la multiplication des foyers de conflit armé à travers la planète, les budgets militaires se sont emballés à une vitesse inédite. La guerre entre l’Ukraine et la Russie, la montée des tensions en mer de Chine, les rivalités au Moyen-Orient et les craintes de déstabilisation dans le Sahel ont poussé de nombreux États à réévaluer drastiquement leurs priorités stratégiques. Désormais, les investissements dans les capacités de défense ne sont plus considérés comme une dépense accessoire, mais comme une nécessité impérieuse. Le Maghreb n’échappe pas à cette dynamique : la région est elle aussi rattrapée par une logique de renforcement militaire, alimentée par des enjeux de voisinage, des rivalités historiques et des considérations de sécurité intérieure. L’Algérie, forte de ses ressources énergétiques, occupe aujourd’hui une place singulière au sein du classement mondial des dépenses militaires rapportées au PIB.
L’Algérie dans le trio de tête mondial
Un récent rapport de la Fondation Konrad-Adenauer-Stiftung révèle que l’Algérie consacre une part considérable de son produit intérieur brut à ses dépenses de défense, au point d’occuper la troisième position à l’échelle mondiale selon cet indicateur. Seuls l’Ukraine et Israël, confrontés à des situations de guerre ou de menace immédiate, enregistrent un ratio plus élevé. Cette situation place Alger dans une catégorie à part, surtout pour un État officiellement en paix.
Cette dynamique repose en grande partie sur les recettes tirées de l’exploitation du gaz naturel, qui permettent au pays de soutenir une stratégie militaire ambitieuse. Les autorités algériennes misent depuis plusieurs années sur une consolidation de leurs forces, avec des acquisitions majeures en matière d’équipements, une politique de professionnalisation des troupes et un redéploiement accru sur le territoire. L’objectif affiché : se prémunir contre les instabilités régionales tout en consolidant une position dominante au Maghreb.
Un rapport de force structurant dans la région
Les tensions entre l’Algérie et son voisin marocain donnent à ces investissements militaires une portée plus large. La méfiance entre les deux capitales, alimentée par des désaccords profonds comme celui du Sahara occidental, entretient une logique de confrontation indirecte où la puissance militaire joue un rôle central. Dans ce bras de fer silencieux, Alger entend maintenir une supériorité stratégique à travers la dissuasion.
Le Maroc, de son côté, modernise également ses forces armées, souvent avec l’appui de partenaires occidentaux, notamment les États-Unis et la France. La compétition s’exprime donc à plusieurs niveaux : équipements, alliances, posture régionale. Ainsi, le classement de l’Algérie parmi les pays aux dépenses militaires les plus lourdes en proportion de leur PIB devient un signal fort. Il traduit un choix politique assumé, qui reflète autant des préoccupations de sécurité internes que des ambitions extérieures.
Des choix budgétaires lourds de conséquences
La position de l’Algérie dans ce palmarès soulève aussi des interrogations sur les priorités nationales. Si les défis sécuritaires justifient en partie cet effort, notamment face aux menaces dans le Sahel ou à l’instabilité en Libye, certains observateurs s’inquiètent des déséquilibres que cela pourrait engendrer dans d’autres secteurs comme l’éducation, la santé ou le développement économique.
À l’échelle du Maghreb, cette militarisation accélérée contribue à une forme de cristallisation des tensions. Les équilibres sont fragiles, les rivalités anciennes, et la méfiance s’ancre durablement dans les politiques nationales. Si la force armée est vue comme un gage de stabilité, elle peut aussi alimenter une dynamique de défiance mutuelle, difficile à inverser.
Ce classement ne reflète pas seulement un état des lieux comptable : il montre un choix de cap stratégique. Reste à savoir si ce pari sur la puissance militaire permettra réellement d’assurer la sécurité et l’influence à long terme dans une région où la paix reste encore un chantier inachevé.
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