Dans plusieurs pays du Maghreb, les questions liées aux identités sexuelles et de genre continuent de diviser profondément. Majoritairement conservatrices, les opinions publiques rejettent les revendications des minorités LGBTQ, qu’elles associent souvent à des influences extérieures jugées incompatibles avec les traditions locales. Cette opposition se manifeste aussi bien dans les discours que dans les réactions collectives, en particulier lorsqu’un événement, un message ou une initiative semble légitimer ou donner de la visibilité à ces identités. Toute tentative perçue comme un pas vers la reconnaissance des droits LGBTQ provoque aussitôt une levée de boucliers, alimentée par une situation où les valeurs religieuses et culturelles sont perçues comme menacées.
Une réunion annoncée et déjà contestée
L’annonce de la création d’un réseau de réflexion dédié aux études queer, le QISA, a déclenché une vive réaction au Maroc. Prévu du 6 au 11 juillet en marge du 5ᵉ Forum mondial de sociologie à l’Université Mohammed V de Rabat, ce projet porté par l’Association internationale de sociologie (ISA) a suscité une série de protestations. L’objectif affiché de cette réunion : offrir un cadre de discussion et d’échange aux chercheurs intéressés par les thématiques liées aux minorités de genre et de sexualité. Une ambition académique qui n’a pourtant pas été bien accueillie par une partie de la population, qui y voit un acte provocateur plutôt qu’un simple débat intellectuel.
L’absence de détails précis concernant le lieu et les modalités de cette réunion n’a fait qu’attiser les soupçons. L’information est réservée aux participants, ce qui alimente l’idée d’une action opaque ou d’un agenda caché. Pour beaucoup de Marocains, la tenue de cette réunion dans une université publique renforce l’idée que certaines idées cherchent à s’imposer dans les espaces éducatifs, parfois sans concertation ni prise en compte des réalités sociétales locales.
Un choc de perceptions entre ouverture académique et attachement culturel
Ce qui pourrait apparaître ailleurs comme une initiative académique banale devient ici le centre d’une controverse. La volonté d’aborder les enjeux queer dans un cadre universitaire se heurte à une vision dominante qui considère ces questions comme sensibles, voire inacceptables. Le monde universitaire est souvent attendu comme un lieu neutre, mais il se retrouve parfois pris entre deux pressions : celle de la liberté intellectuelle, et celle d’un ancrage culturel qui rejette certains débats.
Les critiques formulées contre cette réunion sont révélatrices d’un malaise plus large : la crainte d’une transformation silencieuse des repères sociaux, par le biais de discours ou de recherches jugés éloignés du vécu de la majorité. Ce malaise exprime aussi un sentiment d’impuissance face à la montée de certaines thématiques dans les forums internationaux, où les pays du Sud ont parfois l’impression d’être spectateurs d’une mondialisation des normes plutôt qu’acteurs d’un dialogue équilibré.
L’affaire QISA dépasse largement le cadre d’une réunion universitaire : elle révèle les tensions persistantes autour des identités sexuelles dans un espace maghrébin tiraillé entre ouverture académique et conservatisme sociétal. Ce type de controverse montre combien le dialogue reste difficile sur ces sujets, et combien la moindre initiative peut cristalliser des oppositions profondes. Le défi sera, pour les années à venir, de trouver des formes de dialogue capables de respecter à la fois les réalités culturelles et les aspirations des individus à vivre et penser autrement.
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