La multiplication des frictions entre Paris et Alger ces derniers mois n’a rien d’anodin. Les échanges de sanctions diplomatiques, les tensions autour du Sahara occidental ou encore les différends liés à la liberté d’expression ont profondément altéré le dialogue entre les deux capitales. L’arrestation en France d’un agent consulaire algérien, soupçonné d’implication dans l’enlèvement d’un opposant, a ravivé une méfiance déjà bien ancrée. La décision française de soutenir le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental a quant à elle été perçue comme un affront par Alger, qui y voit un repositionnement hostile dans la région. Le climat s’est encore tendu avec les expulsions croisées de diplomates et la remise en question de dispositifs de circulation, affectant directement la mobilité de nombreux ressortissants algériens. Sur fond de rupture diplomatique larvée, une nouvelle page semble s’ouvrir dans les relations économiques entre les deux pays.
Blé : un tournant stratégique algérien
Le choix opéré récemment par Alger de s’approvisionner exclusivement en blé meunier depuis les ports de la mer Noire marque une inflexion significative dans ses habitudes commerciales. La commande de 700 000 tonnes, confiée à des fournisseurs russes et ukrainiens, exclut désormais la France, autrefois fournisseur historique. Si cette décision est officiellement motivée par des considérations logistiques et de prix, elle traduit aussi une volonté politique de diversification accrue des partenariats. Cela fait déjà deux campagnes que l’Algérie réduit sa dépendance aux origines traditionnelles, en particulier françaises, au profit de relations renforcées avec les puissances céréalières d’Europe de l’Est.
Ce réalignement a un impact direct sur les exportateurs français, dont la position sur ce marché clé s’effondre. Alors que les volumes disponibles de blé en France sont en hausse, les débouchés s’amenuisent. Pour les opérateurs, l’incertitude grandit. Les perspectives pour la campagne 2024-2025 s’assombrissent, à mesure que les parts de marché se déplacent vers d’autres acteurs. La Chine, autre client de poids, réduit également ses achats, accentuant la pression sur les professionnels du secteur. Il devient désormais crucial pour la filière française de redéfinir ses priorités commerciales et de trouver de nouveaux relais de croissance.
Un divorce commercial symptomatique
La dégradation des liens politiques n’est probablement pas étrangère à cette réorientation des flux commerciaux. Lorsque l’ambiance diplomatique se détériore, les décisions économiques prennent souvent une dimension symbolique. Exclure la France du marché algérien du blé revient non seulement à reconfigurer une relation commerciale ancienne, mais aussi à adresser un message clair sur le repositionnement stratégique d’Alger. Cette rupture ne se limite d’ailleurs pas au secteur agricole. Les échanges globaux, autrefois évalués à plus de 12 milliards d’euros annuels, sont fragilisés par cette dynamique de défiance mutuelle.
Alors que les tentatives de relance du dialogue peinent à aboutir, les conséquences se font sentir sur plusieurs plans : du commerce bilatéral à la mobilité des populations, en passant par les enjeux culturels. La condamnation d’un écrivain franco-algérien à cinq ans de prison pour des propos jugés sensibles par Alger a suscité une vive émotion en France, révélant combien les crispations sont désormais multiples.
Le retrait de la France du marché céréalier algérien n’est pas un simple ajustement technique. Il traduit une rupture plus profonde, où la politique, l’économie et les perceptions mutuelles s’entrelacent. Pour Paris, il ne s’agit plus seulement de regagner un marché, mais de reconstruire une relation désormais fragilisée sur tous les fronts.
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